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On serait tenté d’accuser ce digne homme de trahison, si sa vie entière n’avait été un modèle de dévoûment. Il laissa son élève dans la plus complète ignorance, ne lui enseignant ni la législation, ni l’histoire de sa patrie, faisant toujours rayonner devant ses yeux la théorie absolue du droit divin. Le prince apprit de lui que les services les plus éminens, les dangers affrontés, l’abnégation la plus entière, n’étaient que des sentimens rigoureusement dus à sa personne. Entretenant toujours des espérances téméraires, il admettait que chaque sujet doit à son prince le sacrifice de sa vie. Il avait lui-même le mépris du danger, une fermeté rare qui dégénéra trop souvent en obstination. Il poussait le point d’honneur jusqu’à la folie. Un jour de bataille en Écosse, il ne voulut pas tirer parti des avantages que lui offrait le terrain, trouvant plus chevaleresque de se mesurer avec l’ennemi à conditions égales. Il perdit la bataille. Cette sorte d’orgueil exaspéré dicta sa conduite absurde et provoquante après la paix d’Aix-la-Chapelle. En d’autres circonstances, sa générosité mérita tous les éloges. Envers les prisonniers, il usait d’une clémence admirable, ne voulant jamais appliquer la loi du talion à ceux même qui avaient attenté à sa vie. Lorsque sa tête fut mise à prix, il déclara toujours qu’en aucun cas il ne pourrait être permis de faire du mal à l’électeur de Hanovre.

Charles-Edouard était sincèrement catholique, sans la bigoterie de son père et de son grand-père. Il tenait à la bénédiction de son père plus qu’à celle du pape. Un jour de Pentecôte, il écrivait : « J’ai fait mes dévotions, je me suis recommandé particulièrement à la sainte Vierge pour me guider, pour me conserver toujours les mêmes sentimens, qui sont de souffrir plutôt que de manquer à mon devoir. » Tandis que son père écrivait avec une élégance et une pureté remarquables, Charles-Edouard écrivait mal, difficilement. Tout ce qu’il dictait était confus et embrouillé. Son orthographe est curieuse : cooto de chas signifie sous sa plume « couteau de chasse. » En anglais, il ne sait même épeler le nom de son père James, qu’il travestit en Gems. L’épée, dont il se servait si bien, s’appelle chez lui sort au lieu de sword. Il aurait appris avec facilité ; mais le plus vulgaire enfant avait été, en fait d’éducation, favorisé auprès de lui.

Il servit de bonne heure dans l’armée espagnole, au siège de Gaëte, fier de se montrer digne fils des Stuarts et des Sobieski. Peut-être était-il plutôt soldat que général. Cependant plus d’une fois pendant la guerre d’Écosse il fit preuve d’un coup d’œil juste, qui lui faisait entrevoir mieux que personne l’issue d’une manœuvre ou d’un mouvement stratégique. Toutes ces qualités brillantes jetèrent un grand éclat sur sa jeunesse ; plus tard l’orgueil et la douleur changèrent en obstination la fermeté et la noblesse de son