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science, il y a un abîme ; mais pour arriver à l’une il n’y a d’autre porte que l’autre. Par malheur, les préjugés mêmes des raskolniks s’opposent aux moyens d’étude qui seraient les meilleurs remèdes à ces préjugés. C’est ainsi que ces hommes, si épris du slavon, répugnent au latin et aux études classiques ; ils restent en dehors des gymnases, en dehors des universités, et par là même en dehors de la vraie culture et du vrai savoir.


II

Le schisme russe est loin d’être également réparti entre les différentes contrées et les différentes races de l’empire. C’est chez les populations les plus énergiques et les plus actives, chez les populations les plus foncièrement russes, que se rencontre surtout le raskol, chez le paysan du nord, l’ancien colon de Novgorod et chez le mineur de l’Oural, chez les pionniers de la Sibérie et les Cosaques du sud-est. Le raskol, avons-nous dit, appartient essentiellement à la Grande-Russie, à la Moscovie des premiers Romanof. Ce fait seul prouverait combien ce mouvement est indigène et spontané. De tous les peuples, de toutes les tribus slaves, finnoises, ou tatares qui habitent l’empire, le Grand-Russe est le seul qui se montre ainsi enclin à l’esprit de secte. Il y a des vieux-croyans de différens rites dans la Petite-Russie, dans la Russie-Blanche, dans la Pologne, dans la Livonie, au milieu de populations orthodoxes, catholiques ou protestantes ; partout là ces raskolniks sont des colonies de Grands-Russiens, vivant à part au milieu des indigènes. Dans tous ces pays comme en Sibérie ou au Caucase, on a remarqué que d’ordinaire les dissidens ne font pas de prosélytes ; s’ils en font, c’est en général parmi des Grands-Russiens, parmi les soldats par exemple. Il y a là un caractère si prononcé qu’il semble une marque ethnologique, un signe de race. On est tenté d’en chercher l’explication dans le sang du Grand-Russe, et l’on ne sait lequel de ses ancêtres en rendre responsable. On ne peut dire que ce penchant aux sectes soit slave, puisqu’il demeure confiné dans le rameau le moins slave du tronc slavon ; on ne peut dire qu’il soit finnois pu touranien, puisqu’il est étranger aux Finnois purs et aux Finnois russifiés. On a bien signalé quelques sectes en Finlande comme les sauteurs, les sauvages ou volans, on en a signalé aussi dans la Petite-Russie ; mais ce sont là des manifestations nouvelles, peu considérables, qui pour la spontanéité comme pour l’importance ne se peuvent comparer au raskol. De toutes les populations de la Russie, la principale et la plus mêlée a été seule à ce point accessible à l’esprit de secte, et cet esprit reste une des marques distinctives de