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cette puissante tribu, une marque attestant son originalité en la séparant nettement des élémens ethniques d’où elle est sortie.

Ce n’est pas au sang, ce serait plutôt au caractère du Grand-Russe, tel que l’ont formé la nature et l’histoire, de donner l’explication de cette singularité. Les Russes cultivés et sceptiques se plaisent à dire que ce Grand-Russien si enclin aux sectes est le moins religieux des Slaves de l’empire. IL y a là un curieux contraste, il n’y a peut-être pas absolue contradiction. Le principe du raskol n’est pas exclusivement religieux, il est surtout formaliste, surtout réaliste, et de sa nature le réalisme est peu religieux. Ce goût du réel, qui, à un certain degré de civilisation, a pu être un principe de sectes et d’hérésies, peut, avec une autre éducation, devenir une cause d’indifférence. Dans cette dévotion excessive aux formes du culte, on pourrait peut-être même voir une sorte d’incapacité, d’infirmité religieuse.

Parmi les Grands-Russiens même, chacune des deux branches du schisme a sa région propre, son domaine particulier. Toutes, deux règnent surtout dans les contrées de l’empire où la population est le moins dense, dans les contrées excentriques, les forêts du nord, les steppes du sud-est, mais jusqu’en cette similitude se retrouve le dualisme naturel des deux grandes régions de la Russie, le dualisme du nord et du sud, de la forêt et de la steppe. Les sectes hiérarchiques, les popovtsy, l’emportent dans le sud, les sans-prêtres, les bezpopovtsy, dans le nord. Ceux-ci dominent chez les paysans du bassin de la Mer-Blanche, dans les monts Oural et la Sibérie, ceux-là parmi les Cosaques, sur les bords du Don, du Bas-Volga et du fleuve Oural. Le sol et le climat, l’histoire et les mœurs expliquent cette répartition. Si les vieux-croyans sont plus nombreux dans les contrées les plus éloignées, c’est que les vieilles mœurs s’y sont réfugiées ou s’y sont mieux conservées ; c’est que plus loin du centre de l’état les sectes ont pu plus aisément se propager et se constituer. Si les sans-prêtres dominent dans les gouvernement septentrionaux, presque partout les confessions chrétiennes ont eu des tendances plus laïques sous le rude ciel du nord que sous le ciel plus doux du midi. Dans le nord de la Russie, le succès des sectes anti-sacerdotales était particulièrement favorisé par l’étendue même du territoire, par la mauvaise qualité du sol et par l’extrême diffusion de la population. Dans ces énormes gouvernemens septentrionaux, dont un, celui d’Archangel, est aussi vaste que la France et l’Italie ensemble, dont d’autres, comme Vologda ou Perm, sont aussi grands que l’Angleterre ou la Hongrie, le nombre des paroisses et par conséquent le nombre des prêtres a toujours été très restreint. L’influence sacerdotale a été par là d’autant plus faible et la religion plus laïque. Encore aujourd’hui l’étendue des paroisses est telle