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avait eu l’occasion d’en voir à son tribunal nous disait que les traits de ces judaïsans lui avaient rappelé le type israélite. Les vues de ce genre ne sont pas assez contrôlées pour mériter d’être adoptées. Les sabbatistes cités devant ce juge pour réunions clandestines semblaient eux-mêmes ignorer l’origine des traditions auxquelles ils demeuraient obstinément attachés. À toutes les questions, à toutes les objurgations du magistrat, ils faisaient la réponse ordinaire des raskolniks : c’est la foi de nos pères. Le juge ayant été contraint par la loi de leur infliger une amende en les avertissant qu’en cas de récidive ils seraient plus sévèrement punis, les malheureux répliquèrent qu’ils ne demandaient qu’à être autorisés à garder les usages de leurs ancêtres, et qu’à cette condition ils étaient prêts à se soumettre à tout[1].

L’existence des sectes judaïsantes n’est pas nouvelle en Russie. Ces sabbatistes, aujourd’hui perdus dans les classes inférieures de la population, sont les derniers héritiers d’une hérésie qui au XVe siècle pénétra jusque dans le haut clergé de Novgorod et de Moscou et mit un moment en péril l’orthodoxie russe. Aujourd’hui c’est surtout dans les provinces du sud-ouest, dans le voisinage des contrées habitées par les Juifs polonais que se rencontrent les judaïsans. Comme les sabbatistes actuels, les judaïsans du XVe siècle pouvaient tenir leurs opinions de la lecture de la Bible en même temps que du contact des Juifs si nombreux dans les provinces de l’ouest. En tout cas, le sabbatisme ne semble au fond qu’une autre forme et comme une exagération de l’unitarisme. En rompant avec le dogme de là trinité, des lecteurs de la Bible en sont revenus à la théologie mosaïque et ont rendu à l’Ancien-Testament le pas sur le nouveau. La Russie n’est point le seul pays chrétien où se soient montrés des sabbatistes. Il en existe aussi en Hongrie, en Transylvanie, et là, comme en Russie, ils se sont trouvés en contact avec des Israélites et avec des sociniens, des chrétiens unitaires. Si détestés ou méprisés qu’ils soient de la masse du bas peuple, les Juifs n’en ont pas moins, par leur seul voisinage, inspiré des tentatives de synthèse religieuse, de réconciliation de l’ancienne et de la nouvelle loi. Dans ces dernières années était encore enfermé au couvent de Solovetsk,

  1. Cette année même, dans les districts d’Ostrogojsk et de Pavlovsk du gouvernement de Voronège, on avait inculpe comme sabbatistes plusieurs centaines de paysans, ce qui exposait la population entière de certains villages à être déportée au Transcaucase. La cour de Kharkof n’a maintenu l’accusation que contre les chefs ou les propagateurs de l’hérésie. Il est juste de remarquer que les rigueurs du pouvoir civil à l’égard de cette secte en apparence inoffensive s’expliquent en partie dans un pays où les Juifs forment encore au milieu de la nation un peuple à part. On a pu voir dans ce néo-judaïsme un danger de dénationalisation.