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sur une île de la Mer-Blanche, un vieillard du nom de Nicolas Hyne, coupable d’avoir prêché aux mineurs de l’Oural un évangile qui, en dépouillant l’église et la synagogue de leurs dogmes et rites particuliers, les devait toutes deux réunir dans une nouvelle forme d’unitarisme[1].


IV. — LES SECTES NOUVELLES.

Le servile formalisme des vieux-croyans hiérarchiques de la popovstchine et des sans-prêtres de la bezpopovstchine, le libre illuminisme des khlysty ou le grossier ascétisme des skoptsy, le radicalisme théologique du doukhobortse et du molokane, nous ont montré ce peuple ignorant sollicité et tiré en sens contraires vers les trois grandes tendances où puisse aboutir la religion, le ritualisme, le mysticisme, le rationalisme. Si nombreuses et si variées que semblent ces différentes formes de la piété ou de la folie humaine, ce ne sont ni les seules ni les dernières qui aient surgi au fond de ce peuple, qui, en religion comme en toute chose, paraît en être encore à chercher sa voie. En Russie, l’ère de la génération des sectes n’est pas encore close ; il en est né depuis la campagne de Crimée et l’émancipation des serfs, il en est né depuis la guerre de 1870. On en signale presque chaque année qui, sous un autre nom ou sous d’autres formes, reproduisent ou rajeunissent les vieilles aspirations et les vieilles erreurs. Ces aveugles efforts d’une pensée troublée ne servent pas seulement à montrer les instincts confus et les récentes tendances du grand peuple nouvellement émancipé : mieux que l’étude des institutions et mieux qu’aucune dissertation politique, l’accueil fait encore aux prophètes et aux révélateurs de mystères nous dévoile l’état mental et l’état de civilisation des couches inférieures de la population russe.

Dans de tels mouvemens, dans les sectes nouvelles comme dans les anciennes, l’imposture et le fanatisme se côtoient et se mêlent. Parfois chez d’obscurs hérésiarques, comme chez Mahomet et les plus illustres fondateurs de religion, la fraude et l’enthousiasme se combinent ensemble de manière à ne se plus distinguer l’un de l’autre. La rencontre de l’état religieux des masses et de l’esprit sceptique du siècle, le contact de la foi populaire avec

  1. Sur ce personnage, on peut voir un chapitre de M. H. Dixon, Free Russia, 3e édit., Ier vol., p. 226, 214. En le citant, nous sommes obligés de faire remarquer que cet ouvrage, d’un des plus brillans écrivains de l’Angleterre contemporaine, est tellement rempli d’incohérences et d’inexactitudes, que pour le lecteur peu au fait de la Russie la lecture en est plus dangereuse qu’utile. Des deux volumes, le premier est du reste le seul ayant quelque valeur.