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une nouvelle apportée du septième ciel. — Par qui cela ? — Par saint Jean-Baptiste et sainte Barbe. » Et l’interrogatoire continuait sur ce ton jusqu’à la découverte et l’emprisonnement du faux saint Jean-Baptiste. Dans un district de l’Oural, les mêmes refus s’appuyaient, il y a quelques années, sur l’apparition d’un homme avec un livre d’or qu’aucun des sectaires n’avait vu et auquel tous croyaient. Un semblable mouvement se produisait encore en 1871 dans quelques villages du district de Tsaritsyne. On conçoit l’embarras de la police et des juges devant des résistances ainsi formulées ; il n’y a d’autre remède que d’arrêter les propagateurs des célestes nouvelles. Ces exemples montrent que les erreurs religieuses recouvrent souvent chez le peuple russe des préoccupations temporelles : ce n’est pas toujours vers le ciel, vers le paradis invisible que se tournent les regards et les espérances de ces naïves hérésies. Les chimères du mougik ne sont pas purement mystiques, les songes de ces illuminés leur font rarement perdre de vue les intérêts terrestres, les intérêts positifs. Les utopies religieuses du dévot paysan des bords du Volga ont parfois une singulière ressemblance avec les utopies révolutionnaires de l’ouvrier incrédule ou athée des bords de la Seine et des bords de la Sprée : le chemin et la méthode diffèrent, le point d’arrivée est le même.

La plupart des sectes découvertes dans les sept ou huit dernières années sont toutes radicales en religion autant qu’en politique. Rejetant presque toutes le sacerdoce et les rites de l’église établie, elles se partagent encore entre les deux tendances, entre les deux groupes que nous avons signalés. Khlysty et molokanes, mystiques et réformés, ont en même temps des émules ou des continuateurs ; mais entre les deux groupes l’ancienne proportion est renversée. Le mysticisme, le prophétisme, qui jusqu’ici était le plus fécond, n’a dans ces dernières années produit que de faibles et obscurs rejetons. En 1870, dans les villes de Troïtsa et de Zlotooust, ce sont les pliasouny ou danseurs, sorte de khlysty ayant, comme ces derniers, un prophète et une prophétesse, et comme eux fréquentant ostensiblement l’église et les sacremens. En 1872, dans le district de Belevski, c’est la « foi de Tombof, » ainsi appelée de son fondateur, un sous-ofïicier, dont l’enseignement rappelait, dit-on, celui des skoptsy. En 1868, dans un village du gouvernement de Tambof, c’étaient les trouchavery, qui se regardaient comme les purifiés, les justifiés, et considéraient les autres hommes comme impurs et voués à l’enfer. Comme d’habitude, leur chef, un mestchanine ou petit bourgeois du nom de Panof, se donnait pour le Christ. En 1866, dans le gouvernement de Saratof, c’étaient les tchislenniki ou compteurs, ainsi désignés pour leur manière particulière de compter les jours de