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fermé toutes les mers, et menaçaient jusqu’à sa capitale ; cela n’empêcha point les plénipotentiaires français et anglais de la traiter avec toute la déférence, avec tous les égards dont pouvait disposer la diplomatie de ce bon vieux temps. Ils déployèrent un art véritable dans l’invention des euphémismes ; ils s’ingénièrent à trouver les tempéramens les plus doux, les termes les plus acceptables pour le représentant d’une puissance vaincue. Cet excellent lord John Russell poussa même un jour la bonhomie jusqu’à rappeler, et cela en face de M. Drouyn de Lhuys, que l’Angleterre avait fait subir à Louis XIV des conditions bien autrement dures et humiliantes[1]. C’est là peut-être le seul manque de tact qu’on pourrait relever dans ces conférences de Vienne, et encore n’était-ce qu’une gracieuseté d’allié à allié. Quant à l’Autriche, elle s’épuisa à rechercher les moyens de ménageries susceptibilités de la Russie, et finit par présenter un projet d’arrangement qui fut jugé inacceptable par les cabinets de Londres et de Paris, et lui attira le reproche du Moniteur officiel dont il a été déjà parlé.

Les négociations furent rompues, et on n’eut plus qu’à attendre l’issue de la lutte suprême engagée sous les murs de Sébastopol. Le plénipotentiaire russe l’attendit à son poste de Vienne dans la double angoisse d’un patriote et d’un parent. Le boulevard de la Crimée tomba, et la Russie se trouva dans la situation la plus critique. Elle était épuisée, bien plus épuisée même que ne le supposait alors l’Europe, et la prolongation de la guerre eût infailliblement transporté les hostilités sur les champs de la Pologne. À ce moment, l’Autriche intervint de nouveau. Elle s’appropria les exigences posées par les alliés lors de la conférence de Vienne, — cette clause même de la neutralisation de la Mer-Noire, qu’elle avait repoussée jusque-là comme trop blessante pour la Russie : il n’était guère possible de refuser cette satisfaction aux alliés après la prise de Sébastopol. Au fond, ce furent là les conditions les plus douces qui aient jamais été imposées à une puissance à la suite d’une guerre si longue, si sanglante, et de victoires tellement incontestables. L’Autriche fit plus ; elle envoya ces conditions sous forme d’un ultimatum en déclarant faire cause commune avec les alliés, si elles n’étaient point acceptées, — et la Russie accepta. A bien le regarder, c’était là un service rendu à un jeune souverain qui, ayant hérité d’une guerre désastreuse, trouvait ainsi le moyen de ménager à la fois la mémoire de son prédécesseur et la fierté de son peuple : il lui était permis de dire maintenant qu’il ne faisait la paix qu’à cause d’un nouvel adversaire qui venait de surgir à côté des anciens et que ne connut point son père. On le dit en effet

  1. Protocole de la conférence du 17 avril 1855.