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qu’il lui eût été encore donné de découvrir dans le potage cuisiné pendant plusieurs années à Francfort ! ..

il est vrai que la question d’Orient ne tarda pas à éclater, et qu’elle sembla même d’abord ouvrir des perspectives assez vastes. La Prusse penchait pour la Russie, les états secondaires de l’Allemagne se montraient encore plus ardens et allaient parfois jusqu’à se donner l’air de vouloir dégainer ; tant pis pour l’Autriche si elle persistait à faire cause commune avec les alliés : cela pouvait amener des modifications territoriales importantes et toutes à l’avantage de la maison Hohenzollern ! .. Aussi le représentant de la Prusse auprès de la confédération germanique (« son excellence le lieutenant, » comme on l’appelait alors à cause de l’uniforme de la landwehr qu’il aimait à porter) prêta-t-il dans cette crise un appui chaleureux et constant à son collègue de Russie, devenu son ami le plus intime. Il ne fut pas cependant longtemps à reconnaître que la confédération germanique ne sortirait pas de sa neutralité, que les états secondaires, malgré toutes les agitations dans les conférences de Bamberg, ne prendraient point part active soit dans un sens, soit dans l’autre, et que la guerre serait localisée dans la Mer-Noire et la Baltique. Il en conçut un profond dédain pour le Bund, eut « conscience de son insondable néant, » et fredonna au tapis vert du palais Taxis le lied de Heine sur la diète de Francfort. De plus il fit à cette occasion une expérience douloureuse qu’il n’oublia point, qu’il rappellera encore bien des années après dans une dépêche confidentielle demeurée célèbre. « Pendant les complications orientales, écrira-t-il en 1859 à M. de Schleinitz, l’Autriche l’emportait sur nous à Francfort malgré toute la communauté d’idées et de penchans que nous avions alors avec les états secondaires. Ces états, après chaque oscillation, indiquent toujours avec l’activité de l’aiguille aimantée le même point d’attraction… » Rien de plus naturel pourtant : ce n’est pas de l’empire des Habsbourg que le Hanovre et la Saxe avaient à redouter certaine annexion, les événemens ne l’ont que trop prouvé depuis ; mais l’homme qui un jour put désirer la destruction des grandes villes, comme foyers de l’esprit révolutionnaire, n’hésita pas à condamner en son âme et conscience les petits états comme les foyers inextinguibles de « l’esprit autrichien. »

L’Autriche en effet ne tarda pas à prendre dans les préoccupations et les ressentimens du chevalier de la Marche la place que naguère y avait tenue la révolution, et le champion si chaleureux des Habsbourg dans les chambres de Berlin devint peu à peu leur ennemi le plus acharné, le plus implacable au sein du Bundestag. D’ailleurs tous les grands hommes de la Prusse, à commencer par le grand-électeur et Frédéric II, et sans en excepter Guillaume Ier,