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ont eu de tout temps, par rapport à l’Autriche, « deux âmes dans leur poitrine » comme Faust, ou, comme Rébecca, « deux enfans s’entre-choquant dans leur sein ; » deux principes en un mot, dont l’un les portait à un respect presque religieux pour l’antique et illustre maison impériale, tandis que l’autre les poussait à la conquête et à la spoliation aux dépens de cette même maison. Au mois de mai 1848, l’honnête et poétique roi Frédéric-Guillaume IV déclarait à une députation des ministres des états germaniques[1] « qu’il considérerait comme le plus heureux jour de sa vie celui où il tiendrait le lave-main (waschbecken) au couronnement d’un Habsbourg comme empereur d’Allemagne ; » cela ne l’empêcha point plus tard de sourire de temps en temps à l’œuvre du parlement de Francfort, et de travailler à « l’union restreinte » sous les auspices du général de Radowitz. Et de même M. de Bismarck fut certainement très sincère comme député du parlement prussien dans sa « religion de l’Autriche, » alors qu’au nom des principes conservateurs il prenait la défense énergique des Habsbourg contre les agressions du libéralisme allemand ; mais il était maintenant représentant de son gouvernement au palais Taxis, il rencontrait l’Autriche sur son chemin dans une lutte d’influence auprès des états secondaires, dans une lutte d’intérêts concernant les affaires d’Orient, et il commençait à s’engager dans un ordre d’idées au bout duquel il devait rencontrer la politique du « coup au cœur. » C’est ainsi qu’à l’occasion de la guerre d’Orient et dans la même ville de Francfort prit naissance chez les deux futurs chanceliers de Russie et d’Allemagne cette haine de l’Autriche qui devait avoir des conséquences si funestes, car, que l’on ne s’y trompe pas, c’est la connivence de ces deux hommes politiques, — la fatale idéologie de l’empereur Napoléon III y aidant pour une très grande part, il est juste de l’ajouter, — qui a rendu possibles les catastrophes dont nos jours ont été témoins : la calamité de Sadowa et la destruction du Bund, le démembrement du Danemark aussi bien que celui de la France ! Chez le prince Gortchakof, ce sentiment d’hostilité a éclaté soudain par suite d’une appréciation erronée des événemens, mais que partagea avec lui toute sa nation. Chez M. de Bismarck, la haine de l’Autriche n’eut pas une origine aussi spontanée, elle n’eut pas, par exemple, pour origine les griefs d’Olmutz, dont le député de la Marche a su au contraire aisément triompher ; elle fut lente à se former, elle se développa, se consolida à la suite d’une lutte longue et journalière au sein du Bund, à la suite d’une expérience acquise au bout de plusieurs années de vaines tentatives, et de la

  1. A la tête de cette députation se trouvait le ministre de Nassau, le baron Max de Gagern.