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conviction définitive que le Habsbourg n’abandonnerait jamais de son plein gré les états secondaires et les défendrait contre tout essai d’absorption. Résumant l’enseignement que lui avait donné son séjour de huit ans à Francfort, le représentant de la Prusse auprès de la confédération germanique écrira en 1859, dans sa dépêche souvent citée à M. de Schleinitz, ces mots remarquables : « je vois dans nos rapports fédéraux un vice que tôt ou tard il nous faudra guérir ferro et igne… » Ferro et igne ! c’est là la version première du texte reçu sur « le fer et le sang, » et tel que l’établira un jour d’une manière officielle le président du conseil dans un discours à la chambre.

En même temps que l’ancienne « religion de l’Autriche » subissait chez son ardent confesseur d’autrefois une transformation si radicale, un changement non moins curieux s’accomplissait dans son esprit par rapport à plusieurs autres articles du credo de son parti. Éloigné de la mêlée et ne participant plus aux luttes parlementaires, il commençait à envisager plus froidement certaines questions jadis brûlantes, et à mettre des tempéramens à plus d’une antipathie des jours passés. Dès 1852, au retour d’une excursion à Berlin, il écrit : « Il y a quelque chose de démoralisant dans l’air de la chambre ; les meilleurs hommes du monde y deviennent vains et s’attachent à la tribune comme une femme à la toilette… Je trouve les intrigues parlementaires creuses et indignes au-delà de toute expression ; tant qu’on vit au milieu d’elles, on a des illusions sur leur compte, et on y attache je ne sais quelle importance… Toutes les fois que j’arrive là-bas de Francfort, j’éprouve l’impression d’un homme à jeun qui tomberait au milieu de gens ivres. » Bien des choses jadis honnies et abhorrées prenaient maintenant un aspect moins repoussant aux yeux de l’homme d’état mûrissant de grands projets d’avenir. « La chambre et la presse pourraient devenir les plus puissans instrumens de notre politique extérieure, » écrira en 1856 l’ancien contempteur du parlementarisme et ami de M. Thadden-Triglaff, et c’est ainsi qu’on trouve dans la correspondance de ces temps la vague idée d’une représentation nationale du Zollverein, voire un penchant prononcé pour le suffrage universel lui-même, pourvu que ces moyens puissent devenir des instrumenta regni. L’exemple du second empire exerçait alors une influence dont l’historien devra bien tenir compte. Ce système d’un absolutisme teint de passions populaires, « tigré de rouge, » pour employer une expression caractéristique de M. de Bismarck, séduisait l’imagination de plus d’un aspirant aux coups d’état et aux coups d’éclat, et le ci-devant collègue du docteur d’Ester dut plus d’une fois ouvrir son porte-cigare, et y contempler la petite branche d’olivier cueillie sur la tombe de Pétrarque et de Laure.