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vénalité de l’administration ou de la police, ici comme toujours le regrettable correctif d’une odieuse législation. C’était l’arbitraire qui décidait de l’état civil des raskolniks, l’arbitraire qui dressait les recensemens des mariages et des naissances. Les statistiques russes sont encore à cet égard entachées d’un vice radical, la moralité du pays était officiellement ravalée aux yeux de l’Europe par la fiction légale qui comptait comme enfans naturels les enfans raskolniks.

Ce qu’il y avait de plus triste dans cette situation, c’est qu’il a longtemps paru impossible d’en sortir. Il se présentait deux issues, qui toutes deux semblaient presque aussi impraticables l’une que l’autre : reconnaître les communautés dissidentes et les formes de mariage religieux en usage chez elles, ou instituer pour les dissidens un mariage civil. À la première solution s’opposait l’intérêt de l’église officielle, le recrutement subreptice du clergé des popovtsy aux dépens du clergé orthodoxe, enfin l’extrême division de la bezpopovstchine, dont on ne pouvait reconnaître toutes les communautés, et dont beaucoup de sectes n’admettent ni clergé ni aucune forme de mariage. Contre l’institution du mariage civil s’élevaient les maximes de l’église orthodoxe et de tous les cultes de l’empire, habitués à ne voir dans la consécration de l’union conjugale qu’un acte religieux, et les préventions mêmes des dissidens, pour la plupart d’accord sur ce point avec leurs adversaires. Les répugnances des vieux-croyans pour le recensement, pour l’enregistrement des âmes, accroissaient encore la difficulté. On se trouvait devant ce problème : instituer un acte civil du mariage sans mariage civil et indépendamment de tout mariage religieux.

La solution a été trouvée avec une habileté nécessairement quelque peu subtile, mais où se montre un art ingénieux de concilier les réformes modernes avec les préventions ou les scrupules du passé. La loi d’octobre dernier institue pour les raskolniks des registres spéciaux confiés à la police et aux autorités cantonales. Les mariages des dissidens devront être inscrits sur la seule déclaration des conjoints et de leurs témoins, sans que l’agent de l’état civil ait à s’enquérir si la cérémonie religieuse a eu lieu ou non. L’état ne marie pas, l’état donne aux époux acte de leur déclaration de mariage, et cet acte assure à l’union les mêmes effets civils, aux enfans les mêmes droits que la bénédiction nuptiale donnée par le prêtre. L’intérêt de l’état est ainsi satisfait sans que les maximes de l’église soient blessées ; le principe théologique que le mariage est uniquement un acte religieux reste sauf, et les alliances des dissidens jouissent de toutes les garanties légales, alors même qu’elles ne seraient consacrées par aucune cérémonie ecclésiastique. Lors de l’enregistrement du mariage, il y a publication des bans pendant