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dénaturer singulièrement les choses. C’est la guerre envisagée au point de vue de l’infirmier, du photographe, du fuyard ou du chroniqueur qui flâne après l’action sur le lieu du combat, compte les mourans et décrit les horreurs. Nous ne dirons donc rien de toutes ces toiles militaires que n’excuse pas une valeur intrinsèque, et nous nous arrêterons seulement devant les deux tableaux de M. de Neuville, qui reste Français et a beaucoup de talent. Scribe devenu peintre n’aurait pas composé l’Attaque par le feu d’une maison barricadée et crénelée avec plus de bonheur et d’habileté que ne l’a fait M. de Neuville. Tout cela s’agite, vit, remue, et voilà de braves gens qui vont à l’ennemi de bon cœur. Si la facture est un peu mesquine, martelée uniformément d’innombrables petites touches qui attirent l’attention, du moins on ne sent ni le labeur du peintre ni la fatigue du modèle qui pose. Il y a du souffle, de l’animation, un vif intérêt et du cœur.


II

De tous les portraits du Salon, le plus remarqué à coup sûr est celui de Mme Pasca, par M. Léon Bonnat. Deux choses expliquent le grand succès de cette toile : tout d’abord le talent très réel et très sympathique du peintre, puis en second lieu le soin avec lequel M. Bonnat a su mettre cette année ses qualités en évidence. J’avoue qu’elles me paraissaient plus naturelles et plus séduisantes alors qu’il nous les laissait voir moins décolletées. Dans un antre obscur, où par hasard une chaise en bois doré a été oubliée, apparaît une femme vêtue d’une robe blanche zébrée de noir, droite, immobile, les bras nus, et… sans chemise. Cela sent un peu l’apprêt. Le peintre d’ailleurs, trop uniquement préoccupé de ses pâtes, a oublié de rendre l’élégance, l’expression, l’esprit et la physionomie de son modèle. C’est Mme Pasca que l’on regarde, et c’est M. Bonnat que l’on voit. Quant à la puissance des tons, je la constate volontiers ; voilà certes de puissans tons, mais comme ils le savent !

Un autre portrait qui se voit de moins loin, mais qui me séduit bien davantage, est celui qu’expose M. Bastien Lepage ; point d’apparente coquetterie ; l’ensemble est sans éclat, la pose est fort simple, le costume sombre, et la tête, énergique et intelligente d’ailleurs, est sans beauté. C’est par ses qualités intimes que cette peinture est remarquable, par la sûreté, la précision, la sincérité du dessin, par un sentiment délicat et respectueux de la forme qui fait songer à Holbein. Suivez le contour savant et précis de la bouche et du nez, la construction honnête et ferme de cette tête, où vous ne trouverez ni une faiblesse, ni une indécision, voyez les mains si vraies, si individuelles dans leur structure et détaillées avec un mélange de