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ces adresses fatigue à la longue. Si encore M. Leloir était seul à user ce procédé qui consiste à considérer un tableau comme une mosaïque de petits morceaux admirablement copiés ; mais que d’autres autour de lui exploitent la même mine avec autant ou presque autant d’habileté !

M. Louis-Emile Adan est un exécutant tout aussi prodigieux que ses prodigieux confrères. Son Dernier jour de vente est une collection de petits morceaux délicieux, une réunion de petits tours de force plus étonnans les uns que les autres. Tout cela frétille, étincelle. Au plaisir d’admirer tant de prestesse et d’habileté se joint celui de fouiller dans ce magasin de bric-à-brac où chacun s’amuse à faire un choix. On croit lire une page de nouvelles à la main fraîchement pondues par quelque malicieux causeur.

Les Patineuses hollandaises de M. Kaemmerer sont dessinées et habillées avec beaucoup de goût, peintes avec un soin pieux. Je ne sais pourquoi l’idée de mettre sous verre ces merveilles vous vient à l’esprit. On tremble pour elles comme pour un biscuit de Sèvres ou un verre de Venise que le moindre mouvement peut réduire en miettes. Impossible de grouper d’une façon plus aimable des toilettes plus coquettes.

M. Caraud et M. Charles Hue, qui le suit à quelques pas de distance, sont déjà d’une autre époque, et leurs toiles, qui constatent les modifications du goût, sont intéressantes à observer. Ces messieurs continuent à peindre avec un soin extrême et d’une façon un peu plate des scènes gracieuses, légèrement maniérées, qui toutefois ne manquent pas de charmes. Ici c’est le doigt piqué, là c’est l’ami indiscret. Ces jolies vignettes coloriées ont un petit parfum du siècle dernier affadi par une correction monotone et des scrupules de brosse consciencieuse et bien élevée que l’on ne retrouve plus guère chez les flamboyans peintres de genre de création récente.

M. Vibert, sec et poli, fort peu peintre, possède en revanche une gaîté qui a la vogue. Le Repos du peintre, ou, pour mieux dire, le peintre profitant du sommeil de son modèle pour embrasser la servante, a des accens comiques. On souhaiterait que M. Vibert eût une exécution plus en rapport avec l’esprit de ses sujets, et qu’il prît une brosse plus grosse. On se demande comment son éclat de rire a pu durer assez longtemps pour lui permettre de l’exprimer avec ce soin de miniaturiste scrupuleux.

L’Ambulance de M. Eugène Le Roux est un des rares tableaux de genre qui ne sentent ni la photographie ni la miniature. Cela est largement et grassement peint. Les fonds sont légèrement noirs, et manquent de transparence ; mais la scène est touchante, sans affectation de sentimentalité ni violence d’effet. Puisque le mot de photographie vient de m’échapper, regardons le tableau de M. Worms,