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directe, où l’on aperçoit à peine les ondulations d’un esprit qui se développe en largeur, agrandit ses voies, jamais les incertitudes et les démentis d’un esprit qui se cherche ; mais songez que je feuillette à peine un petit fragment de cet œuvre immense. Des pages détachées de sa vie s’offrent au hasard, je les accepte ainsi partout d’ailleurs où Rubens est représenté par un beau tableau, il est présent, je ne dis pas dans toutes les parties de son talent, mais dans l’une au moins des plus belles.

Le musée de Bruxelles possède de lui sept tableaux importans, une esquisse et quatre portraits. Si ce n’est pas assez pour mesurer. Rubens, cela suffit pour donner de sa valeur une idée grandiose, variée et juste. Avec son maître, ses contemporains, ses condisciples ou ses amis, il remplit la dernière travée de la galerie, et il y répand cet éclat mesuré, ce rayonnement doux et fort qui sont la grâce de son génie. Nul pédantisme, aucune affectation de grandeur vaniteuse ou de morgue choquante : tout naturellement il s’impose. Supposez-lui les voisinages les plus écrasans et les plus contraires, l’effet est le même : ceux qui lui ressemblent, il les éteint ; ceux qui seraient tentés de le contredire, il les fait taire ; à toute distance, il vous avertit qu’il est là ; il s’isole, et, dès qu’il est quelque part, il s’y met chez lui.

Les tableaux, quoique non datés, sont évidemment d’époques très diverses. Bien des années séparent l’Assomption de la Vierge des deux toiles dramatiques du Saint Liévin et du Christ montant au Calvaire. Ce n’est pas qu’il y ait chez Rubens ces changemens frappans qui marquent chez la plupart des maîtres le passage d’un âge à l’autre, et qu’on appelle leurs manières. Rubens a été mûr trop tôt, il est mort trop subitement pour que sa peinture ait gardé la trace visible de ses ingénuités premières, ou ressenti le moindre effet du déclin. Dès sa jeunesse, il était lui-même, il avait trouvé son style, sa forme, à peu près ses types, et, une fois pour toutes, les principaux élémens de son métier. Plus tard, avec plus d’expérience, il avait acquis plus de liberté encore ; Sa palette en s’enrichissant s’était plutôt tempérée. Il obtenait plus avec des efforts moindres, et ses plus étonnantes audaces, bien examinées, ne nous montreraient au fond que la mesure, la science, la sagesse et les à-propos d’un maître consommé qui se contient autant qu’il s’abandonne. Il commença par faire un peu mince, un peu lisse, un peu vif. Sa couleur, à surfaces nacrées, miroitait plus, résonnait moins ; la base en était moins choisie, la substance moins délicate ou moins profonde. Il craignait le ton nul, il ne se doutait pas encore de l’emploi savant qu’il en devait faire un jour. De même à la fin de sa vie, en pleine maturité, c’est-à-dire en pleine effervescence de cerveau et de pratique, il revint à cette manière appliquée,