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relativement timide. C’est ainsi que, dans les petits tableaux de genre anecdotique qu’il fit avec son ami Breughel pour amuser ses dernières années, on ne reconnaîtrait jamais la main puissante, effrénée ou raffinée qui peignait à la même heure le Martyre de saint Liévin, les Mages du musée d’Anvers, ou le Saint George de l’église Saint-Jacques. Au vrai, l’esprit n’a jamais changé, et si l’on veut suivre les progrès de l’âge, il faut considérer l’extérieur de l’homme plutôt que les allures de sa pensée, analyser sa palette, n’étudier que sa pratique et surtout ne consulter que ses grandes œuvres.

L’Assomption correspond à cette première période, puisqu’il serait inexact de dire à sa première manière. Ce tableau est fort repeint. On assure qu’il y perd une bonne partie de ses mérites ; je ne vois pas qu’il ait perdu ceux que j’y cherche. C’est à la fois une page brillante et froide, inspirée quant à la donnée, méthodique et prudente quant à l’exécution. Elle est, comme les tableaux de cette date, polie, propre de surface, un peu vitrifiée. Les types, médiocres, manquent de naturel, comme on dirait en termes d’atelier ; la palette de Rubens y retentit déjà dans les quelques notes dominantes, le rouge, le jaune, le noir et le gris, avec éclat, mais avec crudité. Voilà pour les insuffisances. Quant aux qualités toutes venues, les voici magistralement appliquées. De grandes figures penchées sur le tombeau vide, toutes les couleurs vibrant sur un trou noir, — la lumière, déployée autour d’une tache centrale, large, puissante, sonore, onduleuse, mourant dans les plus douces demi-teintes, — à droite et à gauche, rien que des faiblesses, sauf deux taches accidentelles, deux forces horizontales, qui rattachent la scène au cadre, à mi-hauteur du tableau. En bas, des degrés gris, en haut un ciel bleu vénitien avec des nuées grises et des vapeurs qui volent, et dans cet azur nuancé, les pieds noyés dans des flocons azurés, la tête dans une gloire, la Vierge en bleu pâle avec manteau bleu sombre, et les trois groupes ailés des petits anges qui l’accompagnent, tout rayonnans de nacre rose et d’argent. A l’angle supérieur, déjà touchant au zénith, un petit chérubin agile, battant des ailes, étincelant, tel qu’un papillon dans la lumière, monte droit et file en plein ciel comme un messager plus rapide que les autres. Souplesse, ampleur, épaisseur des groupes, merveilleuse entente du pittoresque dans le grand, — à quelques imperfections près, tout Rubens est ici plus qu’en germe. Rien de plus tendre, de plus franc, de plus saillant. Comme improvisation de taches heureuses, comme vie, comme harmonie pour les yeux, c’est accompli : une fête d’été.

Le Christ sur les genoux de la Vierge est une œuvre très postérieure, grave, grisâtre et noire ; la Vierge en bleu triste, la Madeleine en habits couleur de scabieuse. — La toile a beaucoup