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souffert dans les transports, soit en 1794 quand elle fut expédiée à Paris, soit en 1815 quand elle en revint. Elle passait pour une des plus belles de Rubens, et ne l’est plus. Je me borne à transcrire mes notes, qui en disent assez.

Les Mages ne sont ni la première ni la dernière expression d’une donnée que Rubens a traitée bien des fois ; dans tous les cas, à quelque rang qu’on les classe dans ces versions développées sur un thème unique, ils ont suivi ceux de Paris, et très certainement aussi ils ont précédé ceux de Malines, dont je vous parlerai un peu plus loin. L’idée est mûre, la mise en scène plus que complète. Tous les élémens nécessaires dont se composera plus tard cette œuvre si riche en transformations, types, personnages avec leur costume et dans leurs couleurs habituelles, tous se retrouvent ici, jouant le rôle écrit pour eux, occupant en scène la place qui leur est destinée. C’est une vaste page conçue, contenue, concentrée, résumée, comme le serait un tableau de chevalet, en cela moins décorative que beaucoup d’autres. Une grande netteté, pas de propreté gênante, pas une des sécheresses qui refroidissent l’Assomption, un grand soin partout avec la maturité du plus parfait savoir : toute l’école de Rubens aurait pu s’instruire d’après ce seul exemple.

Avec la Montée au Calvaire, c’est autre chose. À cette date, Rubens a fait la plupart de ses grandes œuvres. Il n’est plus jeune, il sait tout, il n’aurait plus qu’à perdre, si la mort qui le protégea ne l’avait pris avant les défaillances. Ici nous avons le mouvement, le tumulte, l’agitation dans la forme, dans les gestes, dans les visages, dans les dispositions des groupes, dans le jet oblique, diagonal et symétrique, allant de bas en haut et de droite à gauche. Le Christ tombé sous sa croix, les cavaliers d’escorte, les deux larrons tenus et poussés par leurs bourreaux, tout s’achemine sur une même ligne et semble escalader la rampe étroite qui mène au supplice. Le Christ est mourant de fatigue, sainte Véronique lui essuie le front ; la Vierge en pleurs se précipite et lui tend les bras ; Simon le Cyrénéen soutient le gibet, et, malgré ce bois d’infamie, ces femmes en larmes et en deuil, ce supplicié rampant sur ses genoux, dont la bouche haletante, les tempes humides, les yeux effarés font pitié, malgré l’épouvante, les cris, la mort à deux pas, il est clair pour qui sait voir que cette pompe équestre, les bannières au vent, ce centurion en cuirasse qui se renverse sur son cheval avec un beau geste et dans lequel on reconnaît les traits de Rubens, tout cela fait oublier le supplice et donne la plus manifeste idée d’un triomphe. Telle est la logique particulière de ce brillant esprit. On dirait que la scène est prise à contre-sens, qu’elle est mélodramatique, sans gravité, sans majesté, sans beauté, sans rien d’auguste, presque théâtrale. Le pittoresque, qui pouvait la