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L’une des expéditions envoyées l’an dernier pour l’observation du passage de Vénus, celle de Saint-Paul, qu’a si brillamment dirigée M. le commandant Mouchez, a rapporté de nouveaux documens qui fortifient la conception d’une région botanique australe. Un certain nombre de végétaux n’étaient encore connus, dans le monde entier, que sur le petit îlot de Tristan da Cunha, où l’on pouvait les croire dans leur centre de création, entre autres une graminée coriace et piquante, semblable à l’alfa de l’Algérie, qui remplit des espaces entiers pour le plus grand malheur du naturaliste (le spartina arundinacea de Carmichaël), un arbre à port singulier, formant à lui seul une forêt, le phylica arborea, de la famille des rhamnées, un lycopode, des fougères, etc. Or toutes ces plantes, propres à Tristan, ont été rapportées de l’île Saint-Paul ou de l’îlot voisin d’Amsterdam, que plus de 100 degrés de longitude séparent de Tristan, par M. George de l’Isle, botaniste attaché à la dernière expédition.

Les régions naturelles, pour satisfaire à l’hypothèse des centres de création, doivent donc se multiplier, se morceler bien plus encore que nous ne l’avons laissé entrevoir. La théorie, pour être conséquente avec elle-même, doit par exemple placer dans la région que nous connaissons le mieux, la région méditerranéenne, un centre aux Baléares, un en Corse et plusieurs en Espagne, où la végétation se diversifie considérablement selon la disposition fort tourmentée de la Péninsule et ses altitudes diverses. Il y a plus encore : toutes les fois qu’une espèce, fût-elle unique, est spéciale à un pays, il faut logiquement attribuer à ce pays un centre de création. C’est ce que M. Grisebach est forcé d’accorder à l’Oural, qui possède un petit œillet, le gypsophila uralensis, aux Cévennes, qui ont en propre deux herbes minuscules, l’arenaria ligericina et le kœnigia macrocarpa. Cet endettement de l’action créatrice, que l’on suppose s’être employée à semer çà et là une graine presque sur chaque point du globe, est-il en harmonie avec les procédés si simples et si grandioses à la fois que nous admirons dans l’œuvre cosmogonique ?


II

Les régions botaniques naturelles, où l’on veut voir le résultat d’une création locale, sont dues avant tout à des causes climatériques. Pour soutenir cette thèse, nous n’avons qu’à puiser à pleines mains dans le livre de M. Grisebach et dans les notes intéressantes dont M. de Tchihatchef a enrichi la traduction de cet ouvrage. Le mérite dominant du livre, à la préparation duquel le professeur de