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continent, sur laquelle dominent les genres franchement tropicaux de la terre des Papous, tandis que sur les montagnes et sur la côte, dans le sud-est du pays, croissent des espèces de la zone antarctique, espèces qui se retrouvent à la terre de Van-Diémen et à la Nouvelle-Zélande, où les glaciers descendent à 500 mètres du rivage. D’ailleurs les plantes le plus franchement australiennes (protéaoées et icycadées) ne sont pas sans analogues dans le sud de l’Afrique, et il n’y a pas longtemps que M. le comte de Saporta, assurait avoir retrouvé des protéacées dans les couches anciennes des terrains de la Provence. Voilà, on en conviendra, un centre de création bien éloigné de l’unité, et cependant il s’agit d’une partie du monde fort isolée aujourd’hui, où les conditions actuelles de transport n’ont pu agir que d’une manière presque insensible pour en modifier la végétation.

Nous venons d’invoquer contre les partisans des centres de création les affinités multiples. Passons maintenant aux faits que nous offrent les espèces disjointes, espèces qui coexistent aujourd’hui simultanément sur plusieurs points du globe très éloignés les uns des autres. Ainsi une sorte de jonc fleuri, l’eriocaulon septangulare d’Ecosse et d’Irlande, croît aussi au Canada sans que les courans marins actuels aient pu en transporter les graines de l’une à l’autre de ces régions. Quel sera donc le centre de création de cette espèce, la seule de sa famille qui existe en Europe ? Un pois sauvage, le pisum maritimum, se trouve simultanément à Ankhangel, puis en France sur la côte voisine de Saint-Valéry (Somme), à New-York et sur le cap Tres-Montes, entre le Chili et la Terre de Feu, dans un endroit qui n’a jamais été colonisé. Des remarques analogues s’appliquent à de grands arbres qui ne peuvent passer inaperçus du naturaliste, ni même de simples voyageurs. Le cèdre du Liban, l’erez du roi Salomon, que tout le monde connaît et qui n’a plus aujourd’hui dans les montagnes de la Syrie sa station la plus étendue, a été retrouvé en Asie-Mineure dans le Taurus, en Algérie dans l’Atlas de la province de Constantine, et, comparaison faite, il ne diffère pas du cèdre de l’Himalaya, le dêva-daru (arbre sacré) des épopées de l’Inde antique[1]. Or, si cet arbre grandiose existait dans une contrée intermédiaire à ces stations éloignées, on l’y eût certainement découvert. Il y a plus, il ne saurait croître entre elles, c’est-à-dire entre des massifs montagneux sur lesquels il s’élève à de grandes hauteurs, car les contrées intermédiaires ne lui offrent que des altitudes trop faibles ou des déserts. Les montagnes pour

  1. Les différences légères qu’une analyse minutieuse a constatées entre les arbres de ces différentes provenances ne sont pas suffisantes pour en affecter l’identité spécifique.