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Ce syndicat serait difficile à organiser ; mais lord Derby a voulu dire à sa manière que si jamais l’Europe, inquiète de la prépondérance de la Grande-Bretagne au Caire, lui demandait des garanties, la Grande-Bretagne ne les refuserait pas, — et comment pourrait-elle les refuser quand l’Europe serait unanime à les demander ?

La nouvelle campagne que vient d’entreprendre l’Angleterre a porté, dit-on, le dernier coup à l’influence française en Orient, Faut-il accepter sans réserve et comme parole d’Évangile cette assertion chagrine ? La France aura toujours des intérêts très importans à protéger en Égypte, comme en Syrie, comme dans l’Asie-Mineure ; elle les protégera d’autant mieux qu’elle se relèvera plus vite de l’ébranlement que lui ont causé ses malheurs. Pour être honoré des Orientaux, il faut leur persuader qu’on est fort, car il est dans leur nature de ne respecter que ce qui leur fait peur. Ce sont eux qui ont inventé l’adage que, dans les affaires humaines, une once de crainte pèse plus qu’un quintal d’amitié ; mais, quand on déplore l’affaiblissement de l’influence ou du prestige français en Orient, est-on bien sûr que ce qu’on regrette fût toujours regrettable ? A quoi se dépensait trop souvent cette influence ? Non à résoudre utilement des questions sérieuses, mais à créer à tout propos et hors de propos des questions inutiles, à déployer son adresse et son audace dans des joutes d’amour-propre. Désireux de se donner une importance qu’il n’eût point acquise en se contentant de protéger ses nationaux et leur commerce, tel consul français entrait en lice contre tel pacha à deux ou trois queues, qu’il accusait de lui témoigner moins d’égards qu’à ses collègues le consul d’Angleterre ou le consul de Russie. Il saisissait de ses griefs réels ou imaginaires l’ambassade de France, et proportionnait l’estime qu’il avait pour lui-même au nombre de gouverneurs de province dont il avait poursuivi et obtenu la révocation. Ajoutez à cela les clientèles onéreuses ou compromettantes, les compétitions puériles, les litiges oiseux, la fureur de s’ingérer dans les controverses théologiques et même de les faire naître, afin de démontrer une fois de plus que la mission de la France est de protéger en tout lieu la propagande et le zélotisme latins. Que de forces et de temps consacrés à ces imposantes bagatelles, sans autre profit que de procurer à sa fierté de stériles jouissances et de lui attirer parfois de cruelles mortifications ! Quand dernièrement l’ambassade française à Constantinople s’est avisée de favoriser les prétentions des Arméniens catholiques, qu’en est-il revenu à la France sinon de recommander les Arméniens dissidens aux sympathies de l’Allemagne, qui n’a pas négligé une si belle occasion de lui infliger un échec ? Où est l’avantage d’entreprendre un procès qu’il est humiliant de perdre et qu’il est inutile de gagner ? La France ne doit plus avoir pour règle de sa politique étrangère les préjugés d’un autre âge ; elle ne saurait