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sans peine quelques indications sur les trésors de leur couvent. Nous nous arrachons malaisément à la curiosité oisive de nos hôtes, et un caloyer nous guide dans la visite de la maison. Malgré nos ruses pour nous attarder aux fresques des chapelles et aux rayons de la bibliothèque, il faut le suivre avec résignation dans ce dédale de pauvres cellules qu’il nous montre avec orgueil, dans ces interminables galeries de bois qui tiennent la place de nos cloîtres, à la trapéza, réfectoire où les moines dînent d’un pain noir et d’une sardine, au nosocome, où ils en meurent. La nuit venue, l’igoumène nous réunit à sa table, frugale si jamais il en fut, et bénit la chère ascétique qu’il nous offre : des courges pu des concombres bouillis à l’eau, des poissons salés, du fromage de chèvre, une pastèque… Ce repas, éminemment hostile à des estomacs européens, déride pourtant le grave hiérophante, il s’anime et cause ; de sa bonhomie communicative, de son commérage un peu puéril, nous retenons quelques élémens d’information. Enfin on nous mène reposer dans la plus belle pièce, préparée pour nous, et ce n’est guère : pour tout meuble, sur le plancher, un divan de grosse étoffe bulgare que nous disputent des myriades d’habitans antérieurs. — Le lendemain, à l’aube, les moines nous reconduisent à la porte comme ils nous y ont accueilli ; ils nous donnent les bénédictions dues aux partans, nous souhaitent la route heureuse et nous disent à revoir, certains qu’ils sont, si nous revenons, de nous attendre au même seuil. Moins confiant dans notre destinée inconnue, nous leur répondons adieu ; si jamais elle nous ramène dans ces solitudes, nous retrouverons ces amis d’un jour, sans un étonnement de leur part, n’ayant pas mesuré le temps dans leur calme quotidien, à moins qu’ils ne soient passés, sans transition sensible, au repos éternel.

Nous faisons ainsi le tour de la presqu’île, visitant d’abord les couvens slaves situés au nord et dans l’intérieur : Zographo, où des bâtimens spacieux, de construction récente, abritent 200 moines bulgares, où un certain air d’aisance et de vie inaccoutumée atteste le génie laborieux et actif de cette race ; Chilandari, vieille fondation serbe, dont l’aspect nous reporte au contraire en plein XIIe siècle, au temps du kral Stéphan Némania, qui reconnaîtrait sans peine son œuvre. Arrêtons-nous quelques instans ici ; nulle part le pittoresque des lieux et l’intégrité du passé ne nous ont frappé à ce degré. — Au creux d’une gorge sombre, étroite, sous l’ombre des grands bois de pins, le couvent-forteresse est blotti dans une enceinte de hautes murailles, flanquées de tours crénelées. D’immenses bâtimens à plusieurs étages d’arcades se terminent par des appentis de planches branlantes, recouvertes en chaume. Au centre de la cour, entre des cyprès gigantesques, la vieille église de