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de cette industrie, d’autoriser la venue de cent ouvriers irlandais catholiques qui pussent enseigner aux nègres ce travail nouveau ; on demandait aussi la fondation d’une compagnie qui pût acheter et centraliser à Buenos-Ayres tous les produits que l’on préparerait dans les estancias et les exporter pour les autres colonies et le continent européen. Ces pétitions restèrent sans réponse, et les colons durent se contenter d’employer le nouveau système de salaison, chacun séparément suivant le nombre de ses troupeaux et des esclaves dont il disposait, mais sans que l’on pût songer à établir des saladeros. Ce ne fut que de longues années après que quelques-uns furent créés à Buenos-Ayres, assez peu importans du reste au début pour qu’ils n’aient pas laissé trace dans les documens publics ; en 1822 seulement l’existence en est constatée par un règlement qui les atteint. Ils s’étaient groupés autour de Buenos-Ayres et devenaient assez gênans pour la ville, qui s’agrandissait et les englobait, pour qu’une ordonnance leur enjoignît de s’éloigner à une demi-lieue au moins du palais municipal, le Cabildo. Enfin le traité de 1825 avec l’Angleterre, en autorisant celle-ci à faire le commerce, leur donna une impulsion rapide, décida par cela même la fortune des hacendados, quintupla la valeur des troupeaux et contribua à la création d’une aristocratie de propriétaires qui vint prendre la place des riches négocians espagnols expulsés en 1810. A la même époque, un estanciero platéen, voyageant en Europe, envoyait à Buenos-Ayres pour y perfectionner la fusion des graisses un chimiste français, M. Antoine Cambacérès, neveu du prince de l’empire, qui devait consacrer sa vie au progrès de cette industrie, et qui créa au bout de quelques années de séjour un établissement modèle.

Il serait inutile d’exposer avec minutie les débuts de cette industrie, désormais immuable, qui, faute de progresser, finira par s’éteindre dans un temps que l’on peut déjà déterminer, et qui en limitera l’existence à un siècle de durée. Nous pouvons dire que nous étudions ici une industrie qui s’en va, mais qui néanmoins représente encore le seul débouché ouvert aux produits de la pampa, d’un commerce de 250 millions de francs pour les états de la Plata et la province brésilienne de Rio-Grande.

On appelle saladeros des usines où l’on tue les bêtes à cornes pour en saler le cuir et la viande. Le capital employé et mis en mouvement dans les saladeros est considérable, mais l’apparence extérieure des bâtimens n’en donne aucune idée ; ici, comme dans les estancias, on pousse trop loin la simplicité, et, si le grand propriétaire se contente pour sa demeure d’un rancho de boue et de paille, le propriétaire du saladero se contente plus facilement encore de