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refroidir ; cette préparation, qui demande une heure et demie, est indispensable, la viande palpitante serait rebelle au sel. Après le refroidissement, elle est visitée et portée dans un bassin de saumure où les saleurs l’agitent avec des gaffes, la pêchent et la déposent sur le sol, où elle s’égoutte et dégorge les impuretés que le sel lui fait rejeter : de là les morceaux sont portés dans le saloir qui fait suite. Sur une couche de gros sel blanc, on étale une couche de viande, et l’on forme une pile de 3 ou 4 mètres de côté ; à chaque coin sont placés des hommes, la pelle à la main, qui avec une grande dextérité répandent sur chaque couche de viande une couche de sel blanc scintillant et granuleux. Cette pile s’élèvera à 3 ou 4 mètres et contiendra environ 2,000 quintaux de viande ; vingt-quatre heures après, elle sera retournée et reformée à côté de façon que les couches du bas soient reportées en haut. Le lendemain, la viande est mise à l’air et ensuite reformée sur une couche de cornes de 30 ou 40 centimètres de haut, afin qu’elle puisse finir de s’égoutter ; chaque semaine elle est remuée, étendue sur des châssis et soumise à l’action de l’air et du soleil ; cette opération se renouvelle six fois. Après ces travaux, qui ont duré environ quarante jours, la viande peut être livrée au commerce, elle ressemble assez par son aspect peu agréable à de la morue sèche. Elle est alors expédiée en vrac par chargemens entiers pour La Havane et le Brésil.

Quelque brutale que puisse paraître cette manipulation de la viande, elle constitue cependant la partie la plus soignée du travail du saladero. Les procédés ne se sont pas améliorés depuis bientôt un siècle que ce produit s’exporte. Les consommateurs du tasajo sont toujours les nègres esclaves ; pas un homme libre n’ayant encore accepté l’usage de cet aliment, on se demande ce qu’il en sera de cette industrie à l’époque prochaine de la suppression de l’esclavage.

Pendant que le travail de la viande s’est exécuté, le cuir a été enlevé et porté aussi dans un bassin de saumure, composé du trop-plein du bassin de la viande ; il est plongé et agité à plusieurs reprises et de là porté au saloir, où les cuirs, étendus par couches entremêlées de sel, noirci pour avoir déjà servi à saler la viande, dégorgeront leurs impuretés pendant six ou huit jours, après lesquels ils peuvent être livrés à l’exportation. À bord du navire, la pile sera refaite de la même manière et entretenue dans un état de demi-humidité jusqu’à l’arrivée dans le port de débarquement ; ces chargemens se font par petits navires qui emportent de 8,000 à 10,000 cuirs sans autre cargaison.

Il reste à traiter tous les bas morceaux qui ne sont pas exportables et la graisse ; on les porte à la cuve où se fera l’élaboration