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tons pour leur rayonnement. Supposez que la couleur soit plus flambante, le contour moins dur, le trait qui le sertit moins âpre ; ôtez-en ce grain de raideur italienne qui n’est qu’une sorte de savoir-vivre et de maintien grave, contractés pendant des voyages ; ne regardez que ce qui est propre à Rubens, la jeunesse, la flamme, les convictions déjà mûres, et il s’en faudra de bien peu que vous n’ayez sous les yeux le Rubens des grands jours, c’est-à-dire le premier et le dernier mot de sa manière fougueuse et rapide. Il eût suffi du moindre laisser-aller pour faire de ce tableau, relativement sévère, un des plus turbulens qu’il ait peints. Tel qu’il est, avec ses ambres sombres, ses ombres fortes, le grondement un peu sourd de ses harmonies orageuses, il est encore un de ceux où l’ardeur éclate avec d’autant plus d’évidence que cette ardeur est soutenue par le plus mâle effort et tendue jusqu’au bout par la volonté de ne pas faiblir. C’est un tableau de jet, conçu autour d’une arabesque fort audacieuse, et qui dans sa complication de formes ouvertes et fermées, de corps voûtés, de bras tendus, de courbes répétées, de lignes rigides, a conservé jusqu’à la dernière heure du travail le caractère instantané d’un croquis taché de sentiment en quelques secondes. Conception première, ordonnance, effet, gestes, physionomie, caprice des taches, travail de la main, tout paraît être sorti à la fois d’une inspiration irrésistible, lucide et prompte. Jamais Rubens n’aura mis plus d’insistance à traiter une page d’apparence aussi soudaine. Aujourd’hui comme en 1610, on peut différer d’opinions sur cette œuvre absolument personnelle par l’esprit, sinon par la manière. La question, qui dut s’agiter du vivant du peintre reste pendante : elle consisterait à décider lequel eût été le mieux représenté dans son pays et dans l’histoire, de Rubens avant qu’il ne fût lui-même, ou de Rubens tel qu’il fut toujours.

La Mise en croix et la Descente de croix sont les deux momens du drame du Calvaire dont nous avons vu le prologue dans le triomphal tableau de Bruxelles. A la distance où les deux tableaux sont placés l’un de l’autre, on en aperçoit les taches principales, on en saisit la ton alité dominante, je dirais qu’on en entend le bruit ; c’est assez pour en faire comprendre sommairement l’expression pittoresque et deviner le sens. Là-bas, nous assistons au dénoûment, et je vous ai dit avec quelle sobriété solennelle il est exposé. Tout est fini. Il fait nuit, du moins les horizons sont d’un noir de plomb. On se tait, on pleure, on recueille une dépouille auguste, on à des soins attendrissais. C’est tout au plus, si de l’un à l’autre on échange ces douces paroles qui se disent des lèvres après le trépas des êtres chers. La mère et les amis sont là, et d’abord la plus aimante et la plus faible des femmes, celle en qui se sont incarnés dans la fragilité, la grâce et le repentir tous les péchés de la terre,