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phrase, les avaient toutes revêtues de ce même air impersonnel, quasi royal, qui, pour nous autres modernes, est le contraire de ce qui nous charme. Les temps changèrent ; le XVIIIe siècle brisa beaucoup de formules, et par conséquent traita le visage humain sans plus de façon que toutes les autres unités. Cependant notre siècle a fait reparaître avec d’autres goûts, d’autres modes, la même tradition de portraits sans type et le même apparat moins solennel, mais encore pire. Rappelez-vous les portraits du directoire, de l’empire et de la restauration, ceux de Girodet, de Gérard, j’excepte les portraits de David, pas tous, et quelques-uns de Prud’hon, pas tous. Formez une galerie des grandes actrices, des grandes dames, Mars, Duchesnois, Georges, l’impératrice Joséphine, Mme Tallien, même cette unique tête de Mme de Staël et même cette jolie Mme Récamier, et dites-moi si cela vit, se distingue, se diversifie. comme une série de portraits de Latour, de Houdon, de Caffieri.

Eh bien ! toute proportion gardée, voilà ce que je trouve dans les portraits de Rubens : une grande incertitude et des conventions, un même air chevaleresque dans les hommes, une même beauté princière dans les femmes, rien de particulier qui arrête, saisisse, donne à réfléchir et ne s’oublie plus. Pas une laideur physionomique, pas un amaigrissement dans les contours, pas une bizarrerie choquante dans aucun des traits. Avez-vous jamais aperçu dans son monde de penseurs, de politiques, d’hommes de guerre, quelque accident caractéristique et tout à fait personnel, comme la tête de faucon d’un Condé, les yeux effarouchés et la mine un peu nocturne d’un Descartes, la fine et adorable physionomie d’un Rotrou, le masque anguleux et pensif d’un Pascal ou l’inoubliable regard d’un Richelieu ? Comment se fait-il que les types humains aient fourmillé devant les grands observateurs et que pas un type vraiment original n’ait posé devant Rubens ? Faut-il achever d’un seul coup de m’expliquer par le plus rigoureux des exemples ? Supposez Holbein avec la clientèle de Rubens, et tout de suite vous voyez apparaître une nouvelle galerie humaine, très intéressante pour le moraliste, également admirable pour l’histoire de la vie et pour l’histoire de l’art, et que Rubens, convenons-en, n’aurait pas enrichie d’un seul type.

Le musée de Bruxelles possède quatre portraits de Rubens, et c’est précisément en me souvenant d’eux que ces réflexions me viennent après coup. Ces quatre portraits représentent assez justement par hasard les côtés puissans et les côtés médiocres de son talent de portraitiste. Deux sont fort beaux : l’archiduc Albert et l’infante Isabelle. Ils ont été commandés pour orner l’arc de triomphe élevé à Anvers, place du Meïr, à l’occasion de l’entrée de Ferdinand