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avec quelque réflexion des trois œuvres précédentes à celle-ci, je n’aurai plus besoin d’insister pour me faire comprendre.

En résumé, Rubens, à ne le considérer que comme portraitiste, est un homme qui rêvait à sa manière quand il en avait le temps, un œil admirablement juste, peu profond, un miroir plutôt qu’un instrument pénétrant, un homme qui, s’occupant peu des autres, beaucoup de lui-même, ne savait pas trop ce qui se passait dans l’âme d’autrui, et volontiers y suppléait en exprimant ce qu’il y avait le plus communément dans la sienne ; enfin au moral comme au physique un homme de dehors, et en dehors, merveilleusement, mais exclusivement conformé pour saisir l’extérieur des hommes et des choses, et apercevoir autour de lui ce qu’il était lui-même. Voilà pourquoi il convient de distinguer dans Rubens deux observateurs de puissance très inégale, et comme art de valeur à peine comparable : celui qui fait servir la vie des autres aux besoins de ses conceptions, subordonne ses modèles et ne prend d’eux que ce qui lui convient, et celui, qui reste au-dessous de sa tâche parce qu’il faudrait et qu’il ne sait pas se subordonner à son modèle. Voilà pourquoi il a tantôt magnifiquement observé et tantôt fort négligé le visage humain. Voilà pourquoi enfin ses portraits se ressemblent un peu, lui ressemblent un peu, manquent de vie propre, et par cela manquent de ressemblance morale et de vie profonde, tandis que ses personnages-portraits ont juste ce degré de personnalité frappante qui grossit encore l’effet de leur rôle, une saillie d’expression qui ne permet pas de douter qu’ils n’aient vécu, et, quant à leur fonds moral, il est visible qu’ils ont tous une âme active, ardente, prompte à jaillir, et, pour ainsi dire, sur les lèvres, celle que Rubens a mise en eux, presque la même pour tous, car c’est la sienne.


IV

Je ne vous ai pas encore conduit au tombeau de Rubens, à Saint-Jacques, devant le beau tableau du saint George qui décore l’autel. La pierre sépulcrale est placée devant l’autel. Non suit antum sœculi, sed et omnis œvi Appelles dici meruit, ainsi parle l’inscription du tombeau. On pouvait dire autant, dire mieux et s’exprimer moins hyperboliquement.

A cela près d’une exagération excusable à Anvers, et qui d’ailleurs n’ajoute et n’enlève rien ni à l’universelle gloire, ni à la très certaine immortalité de Rubens, ces deux lignes d’éloge funéraire font songer qu’à quelques pieds sous les dalles il y a les cendres de ce grand homme. On le mit là le premier jour de juin 1640. Deux ans après, par une autorisation du 14 mars 1642, sa veuve lui consacrait définitivement cette petite chapelle derrière le chœur,