Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/376

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

singulièrement le diplomate. Il arrivait, souvent en grande pompe, était reçu, présentait ses lettres de créance, causait et peignait. Il faisait les portraits des princes, ceux des rois, des tableaux mythologiques pour les palais, des tableaux religieux pour les cathédrales. On n’aperçoit pas très bien lequel a le plus de crédit, de Pierre-Paul Rubens pictor, ou du chevalier Rubens, le plénipotentiaire accrédité. Il réussissait en toutes choses à la satisfaction de ceux qu’il servait de sa parole et de son talent. Les seuls embarras, les seules lenteurs et les rares ennuis qu’on aperçoive en ses voyages si pittoresquement coupés d’affaires, de galas, de cavalcades et de peinture, lui sont venus, jamais des souverains, quelquefois de leurs ministres. Les vrais politiciens étaient plus pointilleux, moins faciles à séduire, et souvent vaniteux ou jaloux : témoin ses démêlés avec Philippe d’Arenberg, duc d’Arschot, à propos de la dernière mission dont il fut chargé en Hollande. Est-ce l’unique blessure qu’il ait reçue dans ces fonctions délicates ? C’est le seul nuage au moins qu’on remarque à distance, et qui jette un peu d’amertume sur cette existence toute rayonnante. En toute autre chose, il est heureux. Sa vie, d’un bout à l’autre, est de celles qui font aimer la vie. En toute circonstance, c’est un homme qui honore l’homme.

Il est beau, parfaitement instruit, élevé et cultivé. Il a toujours gardé de sa rapide éducation première le goût des langues et la facilité de les parler. Il écrit et parle le latin. Il a l’amour des saines et fortes lectures ; on l’amusait avec Plutarque ou Sénèque pendant qu’il peignait, et il était également attentif à la lecture et à la peinture. Il vit dans le plus grand luxe, habite une maison princière ; il a des chevaux de prix qu’il monte le soir, une collection unique d’objets d’art avec lesquels il se délecte à ses heures de repos. Il est réglé, méthodique et froid dans la discipline de sa vie privée, dans l’administration de son travail, dans le gouvernement de son esprit, en quelque sorte dans l’hygiène fortifiante et saine de son génie. Il est bon, simple, égal, tout uni, exemplairement fidèle dans son commerce avec ses amis, sympathique à tous les talens, inépuisable en encouragemens pour ceux qui débutent. Il n’est pas de succès qu’il n’aide de sa bourse ou de ses éloges. Sa longanimité pour Brauwer est un des plus célèbres épisodes de sa vie de bienfaisance et l’un des plus piquans témoignages qu’il ait donnés de son esprit de confraternité. Il adore tout ce qui est beau et n’en sépare pas ce qui est bien.

Il a traversé tous les accidens de sa grande vie officielle sans en être ni ébloui, ni diminué dans son caractère, ni sensiblement troublé dans ses habitudes domestiques. La fortune ne l’a pas plus gâté que les honneurs. Les femmes ne l’ont pas plus entamé que les princes. On ne lui connaît pas de galanteries affichées. Toujours au