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ces quatre sentimens se partagent ainsi son âme et débordent jusque dans ses vers. M. Antoine de Latour, dans ses Études sur l’Espagne, a pu le comparer justement à notre Brizeux, car il a du poète breton le ton ému, les convictions profondes, le respect pieux du foyer et du sol natal ; comme Brizeux aussi, sa voix, excitée d’un souille intérieur, s’élève par instans jusqu’à la vraie éloquence.

Le Livre des Chansons eut un grand succès, et le nom du jeune poète courut bientôt avec ses vers d’un bout à l’autre des Espagnes. C’était bien là un de ces ouvrages dont a parlé le moraliste : quand un livre inspire des sentimens, il est fait de main d’ouvrier. Les trois premières éditions avaient été épuisées en quelques mois : le duc de Montpensier voulut faire les frais de la quatrième, la reine Isabelle à son tour se chargea de la cinquième : plusieurs autres ont suivi depuis. Certes ces distinctions, rares dans tout pays, avaient de quoi flatter l’orgueil d’un écrivain ; il est doux d’être admis à la cour, comme dit Boileau, et reçu chez les princes, mais être goûté du peuple est chose bien douce aussi, et si l’on s’adressait à Trueba lui-même, peut-être mettrait-il au-dessus de toute autre gloire l’approbation naïve des femmes et des enfans, qui, aujourd’hui encore, apprennent ses refrains et répètent partout les vers d’Antonio le chanteur.


II

Si éclatant que fût ce premier succès, Trueba ne pouvait compter longtemps pour vivre sur la poésie seule et les ressources toujours modiques qu’elle procure aux plus laborieux ; du moins lui devait-il des protecteurs et des amis. Il entra donc dans la rédaction d’un journal politique qui se fondait et qui sous le nom de Correspondance d’Espagne devait bientôt devenir une des feuilles les plus répandues du pays. En même temps il écrivait de petits morceaux en prose, et, bien qu’il n’ait jamais complètement renoncé à la poésie, c’est plutôt comme prosateur qu’il a continué son chemin dans la littérature. Les Contes couleur de rose parurent en 1859 ; plein d’un doux intérêt et dédié à la jeune femme de l’auteur, ce livre justifiait doublement son titre. Trueba venait alors de se marier : il commençait presque à être célèbre ; après plus de vingt années d’absence, il comptait revoir son pays natal, son vieux père, ses amis d’autrefois, il était jeune encore, il avait bon courage, et tout joyeux, le cœur ouvert à l’espérance, il saluait l’avenir.

Aux Contes couleur de rose succédèrent plusieurs autres recueils de même genre : Contes champêtres, Contes populaires. Contes de vivans et de morts, Contes de diverses couleurs. Du reste il ne