Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Toutes les serres de la capitale, sans en excepter celles des jardins impériaux, dit un témoin oculaire[1], furent littéralement dévastées pour improviser autour des portes et des fenêtres un printemps qui, dans notre nord attardé, n’arrive qu’avec l’été, » et les riches tapis suspendus aux rebords ou étendus le long des édifices donnaient par endroits à la cité boréale l’aspect joyeux de la ville des lagunes… « La perspective Izmaïlovsky, la perspective Voznessensky, la Grande-Morskaïa, formaient une espèce d’allée continue de drapeaux aux couleurs russes, allemandes et prussiennes. Sur un grand nombre de balcons, on remarquait au milieu de la verdure et des fleurs les bustes des deux monarques couronnés de laurier. La façade du grand manège Préobrajensky était ornée d’un faisceau d’étendards entourant une croix colossale de cet ordre militaire de Saint-George dont sa majesté l’empereur Guillaume est le plus ancien chevalier et le seul grand-cordon. » La foule se pressait sur le passage des hôtes venus de Berlin ; l’expansif prince de Bismarck et le taciturne comte de Moltke avaient surtout le don de fasciner les regards.

Pendant douze jours, ce fut une succession sans relâche de revues, de parades, de retraites, d’illuminations, de bals, de raouts, de banquets, de concerts et de représentations de gala. Parmi ces dernières, les chroniqueurs signalent les deux splendides ballets du Roi Candaule et de Don Quichotte. Le populaire eut aussi sa part dans les réjouissances, notamment le soir du 29 avril, lors du festival gigantesque de la place du Palais. Les deux souverains assistaient au concert monstre du-balcon surmontant le perron du château. « A leur arrivée, cinq soleils électriques éclairèrent tout à coup la place avec une telle intensité que l’on pouvait distinguer les traits de tous les assistans, et l’orchestre entonna l’hymne national prussien. Le nombre total des musiciens était de 1,550, plus 600 trompettes et 350 tambours. Après l’hymne retentit la Marche du roi Frédéric-Guillaume III ; puis vint toute une série de marches militaires, la Marche de Steinmetz, la Wacht am Rhein, la Marche de la garde de 1808, au son de laquelle les régimens russes retournèrent à Saint-Pétersbourg après la campagne d’Eylau, et la Marche de Paris, qu’entendirent jadis les aimées alliées lors de leur entrée triomphale dans la capitale de la France. La prière militaire : que Dieu est grand à Sion, produisit, elle aussi, un effet immense. » On ne sait trop s’expliquer comment, au milieu d’une musique toute consacrée aux dieux Mars et Vulcain, put s’égarer la

  1. Aus der Petersburger Gesellschaft. Les autres descriptions sont empruntées au Journal de Saint-Pétersbourg et à l’Invalide russe de l’époque.