Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/448

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traiter toutes ces appréhensions de rêves d’écoliers, de songes creux de littérateurs et de professeurs ; mais les importans, les hommes sérieux, les augures et les aruspices de la politique, ont-ils de nos jours traité autrement maint problème formidable ? N’ont-ils pas tenu le même langage au sujet de la question du Slesvig-Holstein et des prétentions allemandes sur l’Alsace, à l’égard de l’unité de l’Italie et des programmes du National-Verein ? Ce serait un curieux chapitre de l’histoire contemporaine à écrire que celui de Diplomates et professeurs, et qui pourrait bien démontrer que de ces deux corps respectables, le plus pédant et le plus idéologue n’est pas précisément celui qu’un vain peuple pense.

N’y a-t-il pas, — poursuivaient les mêmes personnes, plus soucieuses des intérêts du présent et de l’avenir que des réminiscences intempestives du passé, — n’y a-t-il pas force idéologie par exemple dans la manière d’assimiler les deux époques de 1814 et de 1870, et de saluer dans le feld-maréchal Moltke le continuateur de l’œuvre de Koutouzof ? Lors de la guerre mémorable dont l’incendie de Moscou avait donné le signal héroïque, c’était toute l’Europe qui se levait contre un maître insolent, et apportait la délivrance à des états foulés et broyés par une domination universelle. En fut-il de même dans la dernière conflagration, et ne pourrait-on pas dire plutôt que c’était la France au contraire qui combattait à ce moment pour l’équilibre du monde et l’indépendance des royaumes, en essayant de réparer par un effort tardif et mal conçu une série d’erreurs coupables, mais dont elle n’était pas la seule à souffrir ? Différentes dans leurs mobiles, les deux époques ne se ressemblent guère, non plus quant aux voies et moyens. C’est « une guerre à coups de révolutions » que le ministre prussien avait de bonne heure annoncée à M. Benedetti, et il a tenu parole ; il eut des égards, des atténuations, des compréhensions pour la commune difficiles à justifier ; à l’heure qu’il est, il protège ouvertement le régime républicain en France contre tout essai de restauration, sacrifiant ainsi le principe monarchique et les considérations les plus élevées d’ordre européen à un calcul purement égoïste et vindicatif. Ce n’était pas là l’esprit qui animait jadis les alliés de 1814 ; le magnanime Alexandre Ier surtout comprenait autrement les devoirs des souverains et la solidarité des intérêts conservateurs. Et quel jugement sévère l’empereur Nicolas n’eût-il pas porté, lui, sur tout l’ensemble de la politique de Berlin, sur cette régénération de l’Allemagne, qui n’a cessé d’être la révolution par en haut, depuis l’exécution fédérale dans le Holstein jusqu’à l’arrêt des syndics de la couronne, depuis la destruction du Bund jusqu’au renversement de la dynastie des Guelfes, depuis la formation des légions hongroises et les relations nouées