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eaux : il vient de notre patrie, et dans ses eaux notre image se montrera plus tard à nos descendans. »

Si, comme poète profane, au point de vue de la forme surtout, Grundtvig ne peut être comparé aux grands noms d’Œhlenschläger, d’Ewald, d’Ingemann, dans la poésie religieuse il est sans rival. C’est là ce genre que son goût du populaire pouvait se manifester avec le plus de liberté : la simplicité, la naïveté même, s’allient bien avec une religion qui s’adressa toujours aux hommes du peuple et aux simples plutôt qu’aux grands et aux savans. Les comparaisons familières, les images empruntées aux vulgarités de la vie, les expressions un peu archaïques, pour lesquelles Grundtvig eut toujours une prédilection marquée, prennent place sans choquer dans les ballades, les cantiques, les odes, qu’il consacre aux choses religieuses. La plupart de ces pièces, composées de strophes nombreuses, sont destinées à être chantées en chœur dans les réunions des pieux grundtvigiens, sur ces mélodies douces et mélancoliques qu’affectionnent les Scandinaves. Nous les comparerions volontiers à des complaintes, si ce mot en France ne rappelait trop les produits des versificateurs de tréteaux et des chantres des assassins célèbres. — C’est ce genre de poésie, d’un charme naïf, relevé par le talent et l’inspiration, que Grundtvig cultivait avec le plus d’ardeur à mesure qu’il avançait en âge. Bans son âme, attirée de plus en plus vers la religion, le profane cédait le pas au sacré. Vers sa quarantième année, sa vocation, jusqu’alors indécise, se révéla tout entière.


II

En 1825, un traité théologique intitulé Organisation, doctrines et rites du catholicisme et du protestantisme, parut à Copenhague. L’auteur, le professeur Clausen, partageait les opinions rationalistes nées de la philosophie du XVIIIe siècle qui s’étaient répandues en Danemark, comme dans toute l’Europe, à la faveur de la vogue dont jouissaient alors les ouvrages français. Son livre en était imprégné ; il soutenait cette théorie osée que les enseignemens de récriture sainte, avant d’être acceptés, doivent être passés au double crible de la critique historique et de la raison. De telles assertions, et sous la plume d’un professeur de théologie, ne pouvaient manquer de soulever des tempêtes. Ce fut un grand scandale dans tout le royaume. Bien que les doctrines rationalistes eussent cours dans une fraction du clergé, dans le haut clergé surtout, la majeure partie des hommes d’église étaient restés fidèles aux traditions de l’orthodoxie luthérienne. Le public lettré lui-même répudiait les hardiesses du professeur Clausen.