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haute école, où il est question d’un jeune garnement que quelques mois de régime grundtvigien transforment en une manière de petit saint. Le jeune Jean rencontre un directeur d’une haute école et cause avec lui. « Je sais, dit le maître, délier la langue aux gens et leur faire tomber les écailles des yeux. Il y a des hommes qui ne voient pas la moitié de ce qu’ils devraient voir, bien que possédant les yeux du corps. La forêt se pare au mois de mai de feuilles verdoyantes, la prairie se revêt de gazon et de fleurs, le soleil va et vient chaque jour avec un merveilleux éclat, et les nuages se mirent dans les beaux lacs ; mais le paysan, qui a tout cela devant les yeux, ne le voit pas, ou, s’il le voit, il le regarde comme une vache regarde un moulin à vent… Nous avons une belle patrie où vécurent nos illustres ancêtres et qu’ils nous ont laissée en héritage, nous avons notre chère langue danoise que notre mère chantait devant notre berceau et qu’on chantera devant notre cercueil ; nous avons les nobles souvenirs des exploits de nos aïeux. — Toutes ces beautés, nous devons les voir pour les comprendre, les conserver et les transmettre à nos descendans… » Sous ce langage peut-être un peu naïf, on reconnaît bien la pensée de Grundtvig, son amour de la nature, son instinct du populaire. On voit comment c’est à l’imagination et au cœur plus qu’à l’intelligence et à la raison qu’on s’adresse pour éveiller les âmes, et ce que l’on entend par ce mot.

Les élèves sont soumis à un régime d’entraînement qui absorbe la journée tout entière. Leçons, chants, conversations, lectures, prières, tout concourt au même but. Les cours, auxquels est consacrée la plus grande partie du temps, ne durent pas moins de six à sept heures chaque jour ; d’ailleurs on ne demande aux élèves que de prêter l’oreille. On partage Les préventions de Grundtvig contre l’écriture morte et son goût pour la parole vivante, et on ne trouve pas mauvais qu’ils ne prennent pas une note. Il ne leur restera qu’une impression générale dans l’esprit : c’est précisément ce à quoi l’on tient le plus. — Ces jeunes paysans, la veille encore bouviers ou laboureurs, entendent d’enthousiastes descriptions des pays Scandinaves : le professeur s’étend complaisamment sur les beautés de la nature et les œuvres remarquables de l’industrie humaine, — sur les montagnes, les fiords, les produits du sol, les villes., les monumens. C’est toute une géographie poétique destinée à faire connaître et plus encore à faire aimer le théâtre des récits mythiques et historiques, chers aux grundtvigiens. On remonte jusqu’aux âges les plus reculés : on montre les premiers habitans du Jutland, des îles et de la péninsule vivant de chasse et de pêche et formant sur les rives des fiords, au fond des antiques forêts de pins qui précédèrent les hêtres de nos jours, ces villages rustiques