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généreusement payé. Y eut-il jamais dans nos sociétés modernes excitation si impudente, non-seulement à la délation, mais à la calomnie ? La princesse fut bientôt entourée d’une armée d’espions, et de Milan à Pesaro, de Pesaro à Milan, vous devinez quels trafics s’accomplirent pendant les dix mois que dura cette enquête.

La pauvre princesse de Galles, tête faible encore plus que tête folle, n’offrait que trop de prise aux calomniateurs. On a vu quelle était la bizarrerie de ses allures pendant son séjour en Angleterre ; ce fut bien pis quand elle eut pris la résolution de s’expatrier. Dans la première enquête de 1806, on n’avait trouvé à reprendre chez elle que des témérités, des inconvenances, en un mot des fautes de tenue plutôt que des fautes de conduite. Une fois sur le continent, elle est exposée sans défense aux pièges de ses deux grands ennemis, je veux dire son caractère fantasque et l’esprit haineux de son mari. Qui la protégera désormais contre ses propres caprices ? Elle n’a plus auprès d’elle les conseillers qui la retenaient sur les pentes dangereuses, les tories d’abord, ensuite les wighs, selon les fluctuations de la politique. Qui la protégera contre la haine du prince ? Tant qu’elle n’avait point quitté le sol de la vieille Angleterre, elle pouvait compter sur les lois et sur l’opinion ; le parlement lui était une sauvegarde. Depuis qu’elle n’est plus là, on l’oublie. S’il lui arrive de faillir, elle sera perdue sans ressources. Ajoutez que tout la pousse à mal faire, principalement la perfidie de son mari, qui s’acharne à la rejeter dans la mauvaise compagnie en l’excluant de toutes les relations pour lesquelles son rang la désigne. Partout où arrive la princesse, c’est en vain qu’elle se présente aux familles souveraines : en Prusse, en Bavière, en Autriche, en Italie, les rapports du prince l’ont devancée. Elle est frappée d’interdit, on dirait une pestiférée ou une excommuniée du moyen âge. Quel sera sur la voyageuse l’effet de cette persécution ? L’irritation d’abord, et bientôt un profond ennui. Ce sont là de mauvais conseillers. Pour tromper l’ennui des longues heures dans les villes où elle séjourne, elle se fera une cour à sa manière : l’étiquette n’y sera point rigoureuse, le choix des personnes n’y sera point exclusif. Elle aimera le bruit, l’éclat, les costumes à effet, les compagnies équivoques ; il lui plaira de changer de théâtre en courant de ville en ville. On a dit spirituellement qu’il y avait en elle plusieurs natures ; il est certain que sa conduite révèle deux ou trois âmes très différentes, une âme trouble et malsaine, une âme candide et bienfaisante, enfin l’âme intrépide qui relèvera tous les défis et acceptera toutes les luttes. L’âme intrépide, on la verra plus tard ; l’âme bonne, charitable, naïve, on l’a vue en Palestine, lorsque, plusieurs des personnes de sa suite ayant été attaquées de la peste, elle voulut les saigner elle-même, s’établit à leur chevet, se fit