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rien concéder, puisqu’elle s’était résignée à tout, excepté au déshonneur ; vainement sir Francis Burdett avait-il prouvé l’inutilité de cette démarche dans un discours très habile, très modéré, qui obtint des applaudissemens unanimes : 391 voix contre 124 adoptèrent la proposition et l’adresse de M. Wilberforce. L’adresse, on le pense bien, était conçue dans les termes les plus respectueux. C’est au nom de la nation, au nom du salut public, que la chambre des communes conjurait la reine d’épargner à l’Angleterre la douleur et les périls d’une pareille lutte. Les députés d’ailleurs, quand ils se présentèrent chez la reine le 24 juin, lui prodiguèrent les marques du respect le plus profond. Vaines précautions de langage ; en réalité, que venait-on demander à la reine ? De consentir à son déshonneur. Elle répondit avec beaucoup de dignité : le ton affectueux de l’adresse l’avait touchée profondément ; elle en exprima sa gratitude et protesta de son ardent désir d’une conciliation ; fallait-il pourtant que ce fût aux dépens de son honneur ? Elle savait bien qu’en résistant au vœu de la chambre des communes elle courait le risque de déplaire à des hommes qui bientôt sans doute allaient être ses juges ; mais elle avait confiance dans leur honneur et leur intégrité. « Comme sujette de l’état, dit-elle en terminant, je me soumettrai sans murmure à tout acte de l’autorité souveraine ; comme reine accusée et outragée, je dois au roi, à moi-même, à tous mes concitoyens d’Angleterre, sujets comme moi de l’état, de ne sacrifier aucune des prérogatives de mon rang. »

Un fait à noter ici, c’est que la députation de la chambre des communes, malgré les bienveillantes intentions qui l’animaient, fut très mal reçue de la population de Londres. Il suffisait que la Chambre eût conseillé à la reine de céder encore pour que l’irritation publique se manifestât. Au moment où les députés entrèrent dans la maison de la reine, au moment où ils en sortirent, la foule qui se pressait dans la rue les couvrit de huées.

La réponse de la reine à la députation de la chambre des communes ayant été communiquée le soir même à l’assemblée (26 juin), plusieurs membres essayèrent encore d’empêcher le scandale du procès. Les uns étaient préoccupés avant tout de la paix publique, les autres n’étaient pas fâchés de faire échec au roi et de lui arracher sa victime ; tous s’entendirent pour proposer un ajournement de l’affaire à six mois. Une motion dans ce sens fut faite par M. Western et soutenue par M. Tierney, l’un des plus habiles orateurs de l’opposition. La tentative était condamnée d’avance, lord Castlereagh et M. Brougham demandant chacun, quoique dans une vue bien différente, la continuation de l’enquête : 195 contre 100 décidèrent que le procès suivrait son cours. Seulement quelle serait la procédure ? quelles seraient les formes de justice ? quel serait le