Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/581

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelles seront les phases de la procédure, et en quel temps elles auront lieu. M. Brougham se lève et prononce ces paroles :


« Il a été dit, je le sais, par les promoteurs de ce bill, que mon illustre cliente serait traitée comme si elle était le plus humble sujet du royaume, et non le premier. Ah ! plût à Dieu qu’elle fût dans la situation du dernier sujet du royaume ! Plût à Dieu qu’elle ne se fût jamais élevée au-dessus du plus humble de ceux qui doivent soumission à sa majesté ! Elle eût été protégée par le triple rempart à l’abri duquel les lois de l’Angleterre gardent la vie et l’honneur de la plus pauvre femme. Avant qu’un pareil bill eût pu être présenté contre tout autre individu, il y aurait eu une sentence de divorce prononcée par la cour du consistoire, il y aurait eu un verdict prononcé par un jury qui eût sympathisé avec les sentimens de l’accusée, et qui, pris dans les mêmes rangs de la société, sachant que les preuves produites contre elle pourraient, dans des circonstances analogues, être produites contre leurs femmes et leurs filles, eussent éprouvé le besoin de se défendre contre un danger commun. Il n’y aurait eu parmi ses juges nul homme attaché au service de son mari, car son avocat aurait eu le droit de le récuser, nul homme pris à gages par son mari selon son bon plaisir, nul homme en situation d’être enchaîné à son mari soit par la reconnaissance pour des faveurs passées, soit par l’attente de faveurs futures. Elle eût été jugée par douze Anglais honnêtes, impartiaux, désintéressés, au seuil desquels l’influence exercée sur les présens juges aurait pu s’agiter pendant des années sans faire sur eux en aucune manière cette impression soit de crainte, soit d’espérance, objet de ses calculs et de ses efforts. Elle a donc bien raison de se plaindre de ne pas être le dernier sujet de sa majesté, et je puis assurer vos seigneuries qu’elle sacrifierait bien volontiers toutes choses, excepté son honneur, qui lui est plus cher que la vie, pour obtenir le plus pauvre de ces cottages où toute femme anglaise est à l’abri de l’iniquité. »


Voilà un début qui promet. Que vous semble de cette comparaison entre les douze jurés et les juges de la chambre des lords ? En signalant ces audacieux sarcasmes, lord Campbell remarque spirituellement que, si la noble assemblée n’était guère accoutumée à pareil langage, M. Brougham allait bientôt le lui rendre familier. Le premier jour, la surprise fut grande ; lord Eldon, le grave et austère lord Eldon, était scandalisé. Brougham fut rappelé à l’ordre plusieurs fois comme ayant excédé les droits de la défense. Ces avertissemens, bien loin de le gêner, lui fournirent de nouveaux avantages. Il arrangea ses paroles, il retira d’une main adroite les traits qu’il venait de lancer, il cessa de les appliquer à tous pour les