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vertus domestiques transportées de la vie privée dans la pratique des arts et qui servent également à se bien conduire et à bien peindre. Si vous ôtiez de l’art hollandais ce qu’on pourrait appeler la probité, vous n’en comprendriez plus l’élément vital, et il ne vous serait plus possible d’en définir ni la moralité ni le style. Mais, de même qu’il y a dans la vie la plus pratique des mobiles qui relèvent la manière d’agir, de même dans cet art réputé si positif dans ces peintres réputés pour la plupart des copistes à vues courtes, vous sentez une hauteur et une bonté d’âme, une tendresse pour le vrai, une cordialité pour le réel, qui donnent à leurs œuvres un prix que les choses ne semblent pas avoir. De là leur idéal, idéal un peu méconnu, passablement dédaigné, indubitable pour qui veut bien le saisir et très attachant pour qui sait le goûter. Par momens, un grain de sensibilité plus chaleureuse fait d’eux des penseurs, même des poètes ; à l’occasion, je vous dirai à quel rang dans notre histoire des arts je place l’inspiration et le style de Ruysdael.

La base de ce style sincère et le premier effet de cette probité, c’est le dessin, le parfait dessin. Tout peintre hollandais qui ne dessine pas irréprochablement est à dédaigner. Il en est, comme Paul Potter, dont le génie consiste à prendre des mesures, à suivre un trait. Ailleurs et à sa manière, Holbein n’avait pas fait autre chose, ce qui lui constitue, au centre et en dehors de toutes les écoles, une gloire à part presque unique. Tout objet, grâce à l’intérêt qu’il offre, doit être examiné dans sa forme et dessiné avant d’être peint. Sous ce rapport, rien n’est secondaire. Un terrain avec ses fuites, un nuage avec son mouvement, une architecture avec ses lois de perspective, un visage avec sa physionomie, ses traits distinctifs, ses expressions passagères, une main dans son geste, un habit dans ses habitudes, un animal avec son port, sa charpente, le caractère intime de sa race et de ses instincts, — tout cela fait au même titre partie de cet art égalitaire et jouit pour ainsi dire des mêmes droits devant le dessin. Pendant des siècles, on a cru, on croit encore dans beaucoup d’écoles qu’il suffit d’étendre des teintes aériennes, de les nuancer tantôt d’azur et tantôt de gris pour exprimer la grandeur des espaces, la hauteur du zénith et les ordinaires changement de l’atmosphère. Or considérez qu’en Hollande un ciel est souvent la moitié du tableau, quelquefois tout le tableau, qu’ici l’intérêt se partage ou se déplace ; il faut que le ciel se meuve et qu’il nous transporte, qu’il s’élève et qu’il nous entraîne ; il faut que le soleil se couche, que la lune se lève, que ce soit bien le jour, le soir et la nuit, qu’il y fasse chaud ou froid, qu’on y frissonne, qu’on s’y délecte, qu’on s’y recueille. Si le dessin qui s’applique à de pareils problèmes n’est pas le plus noble de tous, du moins on peut se convaincre qu’il n’est ni sans profondeur ni sans