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peinture ne mène avec plus de certitude du premier plan au dernier, du cadre aux horizons. On l’habite, on y circule, on y regarde au fond, on est tenté de relever la tête pour mesurer le ciel. Tout concourt à cette illusion : la rigueur des perspectives aériennes, le parfait rapport de la couleur et des valeurs avec le plan que l’objet occupe. Toute peinture étrangère à cette école du plafonnement, de l’enveloppe aérienne, de l’effet lointain, est une image qui paraît plate et posée à fleur de toile. Sauf de rares exceptions, Téniers, dans ses tableaux de plein air et de gammes claires, dérive de Rubens ; il en a l’esprit, l’ardeur, la touche un peu superficielle, le travail plutôt précieux qu’intime ; en forçant les termes, on dirait qu’il décore et ne peint pas profondément.

Je n’ai pas tout dit et je m’arrête. Pour être complet, il faudrait examiner l’un après l’autre chacun des élémens de cet art si simple et si complexe. Il faudrait étudier la palette hollandaise, en examiner la base, les ressources, l’étendue, l’emploi, savoir et dire pourquoi elle est réduite, presque monochrome et cependant si riche en ses résultats, commune à tous et cependant variée, pourquoi les lumières y sont rares et étroites, les ombres dominantes, quelle est la loi la plus ordinaire de cet éclairage à contre-sens des lois naturelles, surtout en plein air ; et il serait intéressant de déterminer combien cette peinture de toute conscience contient d’art, de combinaisons, de partis-pris nécessaires, presque toujours d’ingénieux systèmes. Viendraient enfin le travail de la main, l’adresse de l’outil, le soin, l’extraordinaire soin, l’usage des surfaces lisses, la minceur des pâtes, leur qualité rayonnante, leur miroitement de métal et de pierres précieuses. Il y aurait à chercher comment ces maîtres. excellens divisaient les opérations du travail, s’ils peignaient sur fonds clairs ou sombres, si, à l’exemple des primitives écoles, ils coloraient dans la matière ou par-dessus. Toutes ces questions ; la dernière surtout, ont été l’objet de beaucoup de conjectures, et n’ont jamais été ni bien élucidées ni résolues.

Mais ces notes en courant ne sont ni une étude à fond, ni un traité, ni surtout un cours. L’idée qu’on se fait communément de la peinture hollandaise, et que j’ai tâché de résumer, suffit à la bien distinguer des autres, et l’idée qu’on se fait également du peintre hollandais à son chevalet est juste et de tous points expressive. On se représente un homme attentif, un peu courbé, avec une palette en son neuf, des huiles limpides, des brosses nettes et fines, la mine réfléchie, la main prudente, peignant dans un demi-jour, surtout ennemi de la poussière. A cela près, qu’on les juge tous d’après Gérard Dou ou Miéris, l’image est ressemblante. Ils étaient peut-être moins méticuleux qu’on ne le croit, riaient avec un peu plus d’abandon qu’oui ne le suppose. Le génie ne rayonnait point