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enfin l’absorption par les feuilles des produits de la digestion. Ce sont là des faits par lesquels toutes les droséracées se ressemblent ; mais il y aura quelque intérêt à noter rapidement les singularités biologiques qui font à la dionée une place à part entre toutes les plantes irritables et digérantes.

Et d’abord une différence essentielle distingue l’appareil de capture de la dionée de celui des rossolis. Ces derniers sont de vrais pièges agglutinans dont les tentacules retiennent mécaniquement un insecte faible, puis se replient lentement sur le captif, l’enlacent plus qu’elles ne l’enferment, n’ont en aucun sens la rapidité de détente d’un ressort, tiennent à la fois de la toile de l’araignée et des bras préhenseurs de l’hydre ou des tentacules des anémones de mer. Une certaine continuité de pression est nécessaire pour le jeu lent de cet appareil ; le simple contact, même deux ou trois fois répété, ne suffit pas pour le mettre en branle. Chez la dionée au contraire, véritable piège à détente, le contact le plus léger, celui d’un fin cheveu qu’on balance, dès qu’il touche un des poils sensibles du limbe, en fait jouer comme par un ressort subit les valves souvent à demi fermées : elles se rapprochent en quelques secondes, les dents marginales se croisent comme des griffes entrelacées. Voilà la feuille devenue prison à la manière d’une coquille bivalve. Il n’y a là ni viscosité, ni sensibilité déterminée sur des glandes ; les points exclusivement irritables sont les petits appendices piliformes qui se dressent presque invisibles à la surface des valves et dont la structure et les fonctions méritent une étude un peu détaillée.

Ces appendices sont à peu près invariablement au nombre de trois à la face supérieure de chacun des lobes ; dressés lorsque la feuille est ouverte, ils peuvent s’abaisser et se replier par une articulation de leur base à mesure que les valves se referment : admirable adaptation qui les protège contre une rupture et leur conserve leur intégrité de texture et de fonction. Ils échappent presqu’à la vue simple, tant ils sont grêles, délicats et peu colorés ; ce sont des filamens en alêne, légèrement dilatés à la base, sans trace de vaisseaux quelconques dans l’axe, ni de surface sécrétante sur aucun point de leur étendue. Indifférens à la pression d’un corps léger, par exemple d’un fragment de cheveu d’homme, qu’on réussit à poser tout doucement sur leur sommet, et dont la dixième partie suffirait pour infléchir un tentacule de drosera, ils sont au contraire de la sensibilité la plus exquise sous le choc le plus insignifiant ; mais leur rôle est moins de recevoir l’impression que de la transmettre, car ils restent droits pendant qu’ils communiquent l’ébranlement aux valves, et ne se couchent, suivant toute apparence, que sous la pression des valves rapprochées. Il y a là, fait judicieusement observer Darwin, une frappante accommodation de moyens au but ;