Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet égard, que le roi ou le régent avait le droit, le droit absolu, de régler le sort de toutes les personnes de la famille royale pendant leur minorité. Orateur populaire au nom de la loi, Brougham ne voulut pas se laisser mettre en désaccord avec les sentimens du peuple. Ce reproche l’avait piqué au vif. Il prit la main de la princesse et la conduisit vers la fenêtre du salon. L’aube commençait à luire. Il devait y avoir précisément ce jour-là une élection dans Westminster pour le remplacement de lord Cochrane[1]. Brougham montre à la princesse le beau quartier qu’on aperçoit de ses fenêtres, le parc, les avenues, les rues spacieuses : « Dans quelques heures, lui dit-il, la foule se pressera ici, comme elle fait aux jours de scrutin. Je n’aurais qu’à paraître avec votre altesse sur le balcon, je n’aurais qu’à prononcer quelques mots, et vous verriez tout le peuple de cette vaste métropole accourir pour vous défendre ; mais ce triomphe d’une heure serait chèrement acheté par les conséquences qui ne manqueraient pas de se produire immédiatement ; les troupes se précipiteraient pour réprimer toute atteinte à la loi de l’Angleterre, il y aurait du sang répandu, et, pendant tout le reste de vos jours, vous seriez poursuivie par le souvenir odieux qui s’attache dans ce pays à quiconque cause de telles calamités par la violation de la loi. » Brougham ajoute dans son récit : « Ce n’est pas une défaillance de cœur, ce n’est pas un élan d’affection filiale, ce sont ces considérations qui la déterminèrent à retourner chez elle. » Dira-t-on que c’est là une scène théâtrale ? Je ne le pense pas. C’est une scène très britannique. Pour ma part, j’aime mieux voir la princesse Charlotte, après cette longue résistance, se rendre à la voix de l’orateur Whig invoquant le respect de la loi qu’à toutes les instances du duc d’York et du lord chancelier[2].

On ne termine pas un roman sans indiquer ce que deviennent les principaux personnages ; le lecteur nous demandera sans doute ce qu’est devenu le prince d’Orange après les romanesques aventures que nous venons de raconter. C’est ici que se place un

  1. L’amiral lord Cochrane, membre de la chambre des communes, avait été expulsé de la chambre par un vote de ses collègues pour cause d’indignité ; il venait d’être condamné par la cour du banc du roi à la prison et au pilori comme convaincu d’avoir participé à une escroquerie pour faire monter les fonds à la bourse. Les électeurs de Westminster le renvoyèrent à la chambre des communes.
  2. On trouvera ce récit dans la biographie de lord Brougham par lord Campbell, au huitième volume de ses Lives of the Lord chancellors and Keepers of the great seal Londres 1869, p. 292-294, ou mieux encore dans un travail que Brougham lui-même a donné à la Revue d’Edimbourg à propos d’un ouvrage qui porte ce titre : Diary illustrative of the times of George the fourth, interspersed with original Letters from the late queen Caroline and from varions other distinguished persons, 2 vol. in-8o, Londres 1838. — Voyez The Edinburgh Review, année 1838, volume LXVII, p. 33.