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morues, de salmones. Les malacologistes ont renoncé à se mettre d’accord dans le genre hélice, cône, Unio, huître et térébratules vivantes ou fossiles. Rien de plus frappant qu’une espèce de planorbe (Planorbis mulliformis), coquille abondante dans les calcaires d’eau douce de Steinheim, en Wurtemberg. Le docteur Hilgendorf a montré que cette espèce présentait vingt-deux variétés de formes telles que certaines ressemblent à des hélices, d’autres à des scalaires, genres fort différens du genre planorbe. Trouvées dans des couches géologiques distinctes, ces formes, loin d’être reconnues comme des variations d’un même animal, avaient été considérées comme constituant au moins douze espèces appartenant à plusieurs genres séparés.

Comme transitions entre groupes zoologiques, je citerai le galéopithèque, intermédiaire entre les singes et les chauves-souris, la loutre entre les fouines et les phoques, le bœuf musqué du Groenland entre les bœufs et les moutons, le geai entre les oiseaux de proie diurnes et les passereaux. Dans les reptiles, les lézards ont quatre pattes, les bimanes les deux antérieures seulement, les bipèdes et les chalcides les deux postérieures, le Pseudopus Pallasii de Dalmatie de petits tubercules sans usage, et dans l’orvet de nos bois, les membres sont cachés sous la peau ; enfin ils disparaissent avec l’os sternal dans les véritables serpens qui sont complètement privés de membres. On voit que la transition est aussi ménagée que possible. Il serait inutile de multiplier les exemples, la loi est générale et sans exception. Les lacunes apparentes se comblent journellement par la découverte d’animaux vivans ou fossiles, et la chaîne interrompue se renoue et se continue.

Une conséquence nécessaire de la loi de l’évolution et de la continuité de la création, c’est que l’espèce n’existe pas telle qu’elle était comprise par les naturalistes du temps passé. Pour eux, les êtres organisés avaient été créés séparément, et ils s’imaginaient pouvoir discerner ces êtres isolés propagés par voie de génération successive. Ainsi Linné croyait avoir distingué les espèces telles qu’elles étaient sorties des mains du Créateur. Chez ce grand naturaliste, les facultés synthétiques et analytiques étaient si bien équilibrées que pendant longtemps on admit ses espèces comme des types définitifs. Cependant, en examinant les plantes de plus près, on finit par apercevoir des différences qui avaient échappé à sa sagacité ou qu’il n’avait pas jugées assez importantes pour motiver l’établissement d’une nouvelle espèce et la création d’un nouveau nom. Peu à peu on divisa et on subdivisa les espèces linnéennes. Dans la flore de Suède, le pays de l’Europe le mieux connu sous le point de vue botanique, Linné comptait en 1745 huit espèces du genre Hieracium, M. Fries en 1846 en énumère seize. Linné distinguait deux