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au mouillage et de grandes scènes maritimes avec une ampleur et une autorité que Guillaume Van de Velde ne possédait pas, — un peintre qui de plus avait une manière de voir à lui, une couleur propre et fort belle, une main puissante, large, aisée, le goût des matières riches, épaisses, abondantes, un homme qui s’étend, grandit, se renouvelle et se fortifie avec l’âge, — un pareil personnage est un homme vaste. Si l’on songe en outre qu’il vécut jusqu’en 1691, qu’il survécut ainsi à la plupart de ceux qu’il avait vus naître, et que pendant cette longue carrière de quatre-vingt-six ans, sauf un trait de son père très marqué dans ses ouvrages et par la suite un reflet du ciel italien qui lui vint peut-être des Both et de ses amis les voyageurs, il reste lui, sans alliage, sans mélange, sans défaillance non plus, il faut convenir que c’était un fort cerveau.

Si notre Louvre donne une idée assez complète des formes diverses de son talent, de sa manière et de sa couleur, il ne donne pas toute sa mesure, et ne marque pas le point de perfection qu’il peut atteindre et qu’il a quelquefois atteint. Son grand paysage est une belle œuvre qui vaut mieux par l’ensemble que par les détails. On ne saurait aller plus loin dans l’art de peindre la lumière, de rendre les sensations aimables et reposantes dont vous enveloppe et vous pénètre une atmosphère chaude. C’est un tableau. Il est vrai sans l’être trop. Il est observé sans être copié. L’air qui le baigne, la chaleur ambrée dont il est imbibé, cette dorure qui n’est qu’un voile, ces couleurs qui ne sont qu’un résultat de la lumière qui les monde, de l’air qui circule autour et du sentiment du peintre qui les transforme, ces valeurs si tendres dans un ensemble si fort, tout cela vient à la fois de la nature et d’une conception ; ce serait un chef-d’œuvre, s’il ne s’y glissait des insuffisances qui semblent le fait d’un jeune homme ou d’un dessinateur distrait. Son Départ pour la promenade et sa Promenade, deux pages équestres d’un si beau format, de si noble allure, sont aussi remplies de ses plus fines qualités : le tout baigne dans le soleil et se trempe dans ces ondes dorées qui sont pour ainsi dire la couleur ordinaire de son esprit. Il a cependant fait mieux. Il y a de lui des choses plus rares. Je ne parle pas de ces petits tableaux trop vantés qui ont passé à diverses époques dans nos expositions françaises rétrospectives. Sans sortir de France, on a pu voir dans des ventes de collections particulières des œuvres de Cuyp, non pas plus délicates, mais plus puissantes et plus profondes. Un vrai beau Cuyp est une peinture à la fois subtile et grosse, tendre et robuste, aérienne et massive. Ce qui appartient à l’impalpable, comme les fonds, les enveloppes, les nuances, l’effet de l’air sur les distances et du plein jour sur le coloris, tout cela correspond aux parties légères de son esprit, et pour le rendre sa palette se volatilise et son métier