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banalité, la parfaite correction sans le moindre formalisme. Au savoir-vivre du plus grand monde il joint la simplicité du gentleman accompli. Ainsi parlaient, non-seulement Stockmar et les amis personnels du prince, mais les Anglais eux-mêmes, soit de la cour, soit du parlement, et l’on sait que ce témoignage n’est pas suspect. En même temps qu’on était charmé de sa bonne grâce dans les relations de la vie sociale, on admirait dans les questions politiques la justesse de son coup d’œil, la prudence et la modération de ses conseils. Sous un régent que méprisaient tous les partis, en face d’un avenir qui cachait encore tant de problèmes redoutables, comment ne se serait-on pas attaché à ce jeune sage ? Ce sera, disait-on, l’homme vraiment convenable à son rôle, le modèle du prince-consort selon l’esprit des lois britanniques. Stockmar affirme que les Anglais, si peu disposés à l’admiration, ou du moins si lents à se laisser prendre, disaient de lui en toute circonstance, dès la première année de son mariage : « Quel vrai gentleman anglais ! Ce sera notre espérance dans ces temps de péril[1]. »

La princesse Charlotte auprès d’un tel guide devait se développer rapidement. Il ne fallait qu’un peu de culture à la riche plante agreste pour faire épanouir ses trésors. Elle aussi, comme l’époux qu’elle avait préféré, elle attira bientôt les regards bienveillans du pays. Jusque-là elle n’avait été pour tous qu’un objet de curiosité ou de sympathie douloureuse ; elle devint ce qu’elle devait être, l’espoir d’une grande nation qui a besoin d’estimer ses souverains. La fille du régent n’avait pas invoqué des sentimens de circonstance lorsque, dans ses querelles domestiques au sujet du prince d’Orange, elle alléguait si vivement son patriotique désir de connaître la société anglaise. Chaque fois qu’elle avait pu saisir quelque chose des affaires publiques à travers l’éloignement où on la retenait, elle avait manifesté des émotions qui attestaient la noblesse de son âme. L’histoire en cite un bien curieux exemple : c’était en 1812, la princesse Charlotte n’avait que seize ans. Un soir qu’elle devait aller à l’opéra pour la première fois, elle avait dîné chez son père en sa demeure de Carlton-house. Ce jour-là même, le régent avait reçu de deux membres éminens de l’opposition une lettre qui l’avait profondément irrité. Lord Grenville et lord Grey, sollicités en son nom par le duc d’York d’entrer dans une combinaison qui adjoindrait au ministère Perceval un certain nombre de whigs, déclinèrent cette offre de la façon la plus nette. Cette proposition leur ayant été faite par une même lettre adressée au duc d’York, ils

  1. « He is the most amiable man ! ever saw ! What a complete english gentleman ! He will be our hope in these dangerous times ! »