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1688, le progrès de la liberté civile et religieuse ; mais dans leur longue administration ils avaient subi l’influence assoupissante du pouvoir, ils n’avaient pas rempli leur programme. Insensiblement ils avaient repris les traditions et les erremens de leurs adversaires ; une implacable Némésis les poursuivait et allait leur faire expier leur infidélité aux principes libéraux. Leur crédit en effet était bien compromis. On ne voulait pas admettre qu’il pût se rencontrer dans ces grandes familles de la révolution un seul homme assez désintéressé pour sacrifier à la cause de la liberté une place à la cour ou une fonction rétribuée ; on ne les croyait plus en état de mener avec succès les affaires à l’intérieur, ni de conduire avec honneur une guerre avec l’étranger.


III

Ce fut au milieu de ces circonstances que lord Shelburne entra dans la vie publique et devint un auxiliaire de la politique de lord Bute, qui de concert avec le roi poursuivait l’abaissement du parti whig. Dès l’avènement de George III, lord Bute avait été appelé au conseil privé, admis dans le cabinet, et c’était lui qui devait assurer le triomphe de la prérogative royale, et rejeter dans l’ombre la « grande connexion » que protégeaient la popularité et l’énergie de Pitt. Pour mener à bonne fin un dessein aussi hardi, il fallait écarter Pitt et prendre en main la direction de la chambre des communes, où la voix tonnante du grand député (great commoner) pouvait infliger de nouvelles défaites au parti de la cour. Un seul homme pouvait remplir cette mission, c’était le rival d’éloquence de Pitt, Henry Fox, l’élève de Walpole. Bute chargea Shelburne de s’entendre avec lui. Fox ne repoussa pas ces ouvertures ; mais il fit marchander son appui d’une manière honteuse. Enfin le traité est conclu ; Shelburne en écrit les termes à Bute : « M. Fox assistera aux séances de la chambre tous les jours, et, soit en prenant la parole, soit en gardant le silence, comme il le jugera prudent selon les circonstances, il fera de son mieux pour soutenir les désirs de votre seigneurie et n’acceptera aucune espèce d’engagement avec personne autre. Il tâchera de voir votre seigneurie deux fois par semaine. »

Pour favoriser le succès de sa politique intérieure, Bute avait besoin de terminer une guerre dispendieuse et de ménager à son administration le prestige d’une paix solide dont tout le pays profiterait pour s’enrichir. Lord Shelburne le soutint dans cette campagne ; il y apporta même la fougue de la jeunesse et se prononça plus tôt que le ministre ne l’avait souhaité pour le rappel des