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des assemblées coloniales, imposât lui-même les colonies et les fît contribuer aux frais généraux du gouvernement. Shelburne, qui avait soutenu une lutte avec ses collègues sur des questions de délimitation des états et qui l’avait emporté, réserva son opinion, sous le prétexte qu’il n’avait pu encore recueillir tous les élémens d’une solution. Il était d’ailleurs en discussion avec lord Egremont au sujet des prérogatives du Conseil du commerce. Le roi soutenait Shelburne dans ses prétentions, uniquement pour user et affaiblir ses ministres dans des dissensions intimes et conserver dans toute sa plénitude la prérogative de la couronne.

Le dissentiment éclata sur une question plus brûlante, sur la légalité du mandat d’arrêter Wilkes, le fameux pamphlétaire dont l’histoire a été racontée dernièrement ici-même[1]. Halifax en avait assumé la responsabilité sans en saisir le conseil des ministres ; tout au plus avait-il pris l’avis de Grenville et d’Egremont, qui composaient avec lui le triumvirat directeur. Dès que le mandat d’amener avait été lancé, Shelburne avait consulté un homme de loi, qui lui remit une note fortement motivée et très sévère pour Halifax. Dégoûté de la tournure que prenaient les affaires, il résolut de quitter le pouvoir ; mais ses amis, notamment lord Bute, le firent revenir sur sa détermination. Il se rendit à leurs sages représentations, persuadé, que les jours de ses adversaires étaient comptés et que ce n’était pas la peine de se quereller avec eux. En effet, le roi était excédé des façons pédantes de Grenville, et, poursuivi du désir de s’en débarrasser, il était disposé à rappeler non-seulement Bedford, mais Pitt et Temple lui-même. Bute reçut la mission de former un nouveau cabinet, et d’entrer en négociation avec Pitt, et lord Shelburne fut chargé de s’aboucher avec le représentant de Pitt. Ses dispositions à l’égard de « l’idole de la multitude » étaient toutes changées. Au début de sa carrière, il était plein de préjugés contre Pitt ; il lui reprochait l’échec de L’expédition sur Rochefort, dont il avait fait partie, les dépenses énormes qu’entraînait la guerre d’Allemagne, sa politique belliqueuse, ses rapports avec Newcastle et le vieux parti whig, dont il ne pouvait pas supporter la médiocrité ; enfin il avait pris parti pour lord Bute, l’objet des assauts furieux de Pitt. Tout avait conspiré pour les séparer ; mais en 1763 la situation n’était plus la même, la paix était faite et l’arrivée de Pitt aux affaires était la condition, — qui l’eût cru quelques années auparavant ? — du maintien et de la durée de la paix. Pour contenir l’ennemi héréditaire de la nation, s’il pouvait être tenté de prendre sa revanche, il fallait à la tête du

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1875.