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d’Edouard VI dont ils sont porteurs sont adressées indistinctement « à tous les rois, princes et seigneurs, à tous les juges de la terre, à leurs officiers, à quiconque possède quelque haute autorité dans toutes les régions qui sont sous le ciel immense ! » Avec cette suscription un peu vague, elles parvinrent cependant à Ivan IV Vassiliévitch, le Terrible. A l’embouchure de la Dvina, il n’y avait pas encore de cité d’Arkhangel : elle devait naître vers la fin du siècle du mouvement d’échanges inauguré par Chancellor. Les officiers du tsar, qui résidaient au fort de Kholmogory sur la Dvina, annoncèrent à leur maître la surprenante nouvelle. Le 23 octobre 1553, sur un ordre venu du Kremlin, Chancellor partit pour cette mystérieuse capitale de Moscou où trônait le tsar terrible.

Le système politique des états occidentaux prenait chaque jour un développement plus considérable qui tendait à embrasser le monde entier. Déjà François Ier avait mêlé le Turc aux affaires européennes, et contre les Ottomans Charles-Quint avait fait appel aux Persans. La Russie ne pouvait longtemps rester en dehors du mouvement : au temps du père d’Ivan IV, le baron de Herberstein fut deux fois envoyé d’Autriche en Moscovie. La relation de ce qu’il y avait vu eut un grand succès de curiosité, attesté par de nombreuses éditions[1]. Plus tard, on devait s’arracher les livres de Guagnino, qui est plutôt un pamphlet contre Ivan IV et son peuple, — du jésuite Possevino, qui s’occupe surtout de la Russie en vue d’une union possible avec l’église romaine, — de Fletcher, qui montre le sens pratique d’un véritable Anglais[2]. Tous ces ouvrages sont dédiés à quelqu’une des têtes couronnée d’Occident : celui d’Herberstein au roi de Hongrie et de Bohême Ferdinand, celui de Guagnino au roi de Pologne Etienne Bathory, celui de Possevino au pape Grégoire XIII, celui de Fletcher à la reine vierge Elisabeth. Rien ne montre mieux combien des notions à peu près exactes sur la Russie furent rares jusqu’à la fin du XVIe siècle et quelle importance on commençait à y attacher.

Le livre même d’Herberstein prouve aussi à quel point le grand empire du nord était encore en beaucoup de ses parties une terra incognita. Herberstein, aussi consciencieux et aussi exact qu’Hérodote pour les régions qu’il a visitées, donne comme lui dans les

  1. Herberstein, Rerum moscovitarum commentarii, Vienne 1549, Bâle 1556, Anvers 1557, Bâle 1571, Francfort 1600 ; traduit en allemand, Vienne 1557-1618, Bâle 1563, Francfort 1579 ; en italien, Venise 1558.
  2. Guagnino, Sarmatiœ europeœ descriptio, Spire 1581. — Possevinus, Moscovia, seu de rebus moscoviticis, Vilna 1586, Anvers 1587, Cologne 1595. — Fletcher, Londres 1590,1623, etc., réédité dans la Bibliothèque russe et polonaise de Franck, Paris 186, sous ce titre : la Russie au seizième siècle.