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qu’elle a si fort étonné qu’on a cru qu’il y avait erreur. D’une part, grâce à Dieu, la reine ne se trouve pas en danger dans ses états ; d’autre part, « nous n’avons aucune information fâcheuse sur la situation des affaires dudit empereur, de la sagesse et de la puissance duquel nos sujets qui trafiquent dans ses états nous rendent le plus flatteur témoignage. Aussi pensons-nous que notre serviteur Antoine Jenkinson a mal saisi le sens des paroles prononcées par l’empereur. » Sur le point de l’alliance, la mission de Randolph consistera à éluder toutes propositions formelles : « l’alliance ne nous serait d’aucune utilité, sinon pour faire accorder quelques privilèges à nos marchands. » L’aveu est ici dépouillé d’artifice : on ne considère la Russie qu’au point de vue commercial ; en politique, elle ne compte pas. Randolph devait remettre à Ivan, comme présent de la reine, une coupe artistement ciselée : il aurait soin de lui faire remarquer, à ce barbare, le fini du travail, la nouveauté de l’ornementation, dont le prix rehausse singulièrement celui du métal. En passant légèrement sur les propositions politiques du tsar, l’Angleterre insistait d’autant plus sur ses propres réclamations commerciales. Nous avons vu qu’Ivan avait conquis Narva et pris pied sur la mer Baltique, percé, deux siècles avant Pierre le Grand, « une fenêtre » sur les mers d’Europe. Quelques Anglais étrangers à la compagnie de Moscou s’étaient empressés de fonder un établissement à Narva. Par là ils étaient en mesure de fournir des armes et des canons à Ivan plus rapidement encore et plus sûrement que par la mer Baltique. C’était contre eux surtout que Sigismond manifestait son irritation. Or précisément parce que le port de Narva est mieux situé que celui d’Arkhangel, ils menaçaient de ruiner la compagnie de Moscou. Celle-ci poussa les hauts cris : de Londres, on envoya Manley et Middleton pour verbaliser contre eux ; les gens de Narva prirent les devants, dénoncèrent les deux messagers au voievode moscovite comme des imposteurs, des espions de Sigismond, des faussaires qui avaient supposé des lettres de la reine. Ils furent assez maltraités et coururent risque de la vie. Elisabeth demandait réparation de ces mauvais traitemens, la fermeture du comptoir de Narva et le châtiment des Anglais récalcitrans. Elle expliquait longuement au tsar comment s’était formée la compagnie de Moscou, comment elle avait été approuvée par le parlement, qui « est le conseil suprême de notre royaume, et qui est formé des trois ordres de la nation, clergé, noblesse, peuple. » Cette leçon de parlementarisme touchait médiocrement Ivan IV. Il se souciait bien de la distinction entre les communes et la chambre haute, les lords spirituels ou les lords temporels ! En revanche, il trouvait que le gouvernement britannique en prenait trop à son aise ; de sa