Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/857

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Robert Dudley, Edward Cleaton, Howard d’Effingham, Knolles, Croft, William Cecil. La reine ne stipulait pour elle aucune réciprocité et ne prévoyait pas qu’elle pût jamais avoir besoin d’un asile. Pourtant n’avait-elle pas, elle aussi, des adversaires à redouter, l’Espagne qui préparait l’Armada, l’Irlande frémissante, le pape qui lui cherchait partout des ennemis, les moines qui d’avance justifiaient son assassinat, sa captive même Marie Stuart, dont la prison était comme le centre des intrigues domestiques et étrangères ? Elle avait mêmes ennemis que le tsar : Sigismond de Pologne était dans le nord ce que Philippe II était au midi, l’instrument de la grande réaction jésuitique ; mais, précisément parce que la situation était fort sérieuse, Elisabeth ne pouvait se prêter au caprice du tsar moscovite, avouer dans un traité des craintes que d’ailleurs elle n’avait pas, prévoir le cas où elle pourrait déserter le combat et fuir de ses états. À ce moment-là même, la marine anglaise rendait à Ivan un glorieux service. Les eaux de la Baltique étaient alors infestées de corsaires polonais et suédois qui cherchaient à réaliser les menaces de Sigismond contre les importations d’armes. William Harrard, avec treize vaisseaux, les attaqua auprès d’un îlot situé à quelques lieues de Narva. Sur six navires, il en brûla cinq, fit 82 prisonniers, les offrit en présent à « sa hautesse tsarienne ; » mais ni les bonnes paroles d’Elisabeth ni le présent d’Harrard ne purent calmer la fureur d’Ivan. Ainsi donc on méprisait ses affaires d’état, « ses hauts intérêts, » on les sacrifiait aux vils intérêts des négocians anglais ! Ce fut sur eux que tomba son courroux. Tous leurs privilèges furent révoqués, toutes leurs marchandises saisies ; l’existence même de la compagnie fut en danger. Il écrivit à Elisabeth une lettre irritée. Il lui rappelait comment il avait accueilli les premiers Anglais sous Chancellor, et cependant dans la lettre d’Edouard VI à tous les princes du nord « il n’y avait pas un mot qui nous fût adressé personnellement. » Plus tard il avait chargé Jenkinson d’une mission d’état et n’en avait jamais eu de nouvelles. Envoyés sur envoyés étaient venus, Manley, Middleton, Goudman, Randolph. Pas un mot de Jenkinson ; toujours des affaires de commerce. Il avait expédié Sovine à Londres, et à Sovine les boïars d’Angleterre n’avaient encore parlé que d’affaires de commerce. Le document relatif au grand secret avait été bâclé à la hâte, comme un passeport, sans qu’on eût daigné le lui faire apporter par un ambassadeur. « Nous croyions que dans tes états tu étais souveraine, que tu gouvernais toi-même et toi-même veillais à ton honneur de souveraine et aux intérêts de ton état. Voilà pourquoi nous voulions traiter avec toi de telles affaires. Est-il vrai que tes ministres gouvernent sans toi, et non-seulement des ministres,