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Neuville. Voici de vrais soldats et de vrais combats. C’est une puissante évocation de « l’année terrible. » En voyant ces tableaux, qui peut s’empêcher de songer à l’humble rôle qu’il a joué alors et ne pas dire : C’est cela ? Cette jeune école, très sincère et très personnelle, ne saurait manquer d’appliquer à quelques grands tableaux de batailles ces qualités de composition, d’observation, de vérité locale et de sentiment juste du combat. Ce jour-là, si la main n’a pas trahi la pensée, nous aurons à saluer un vrai peintre de batailles.


II

Le nouveau tableau de M. Meissonier a pour titre : 1807, rien de plus. Les gens bien informés assirent que le peintre a représenté la bataille de Friedland. En effet, le seigle est vert, le ciel est bleu. » Ce ne saurait donc être la bataille d’Eylau. L’empereur est présent, il ne s’agit donc pas des combats de Deppen, ni d’Heilsberg. Il y a une charge de cuirassiers, et les cuirassiers du général Nansouty chargèrent à Friedland. Ainsi, tout le prouve, c’est bien la bataille de Friedland, livrée le 14 juin 1807, et cependant ce n’est pas la bataille de Friedland, ou il faudrait admettre, ce que nous nous refusons à faire, que M. Meissonier, si consciencieux et si exact dans l’imitation des choses extérieures, a commis un grave anachronisme d’heure, sinon de jour. La bataille de Friedland, qui fut une des plus longues de ce siècle, — elle dura de trois heures du matin à neuf heures du soir, — eut trois phases bien marquées. Dans la matinée, Lannes, seul avec son corps de 27,000 hommes, eut à résister près de huit heures durant à l’effort des 75,000 hommes de l’armée de Benningsen. Napoléon arriva vers une heure sur le lieu de l’action, mais il n’avait pas encore autour de lui les forces nécessaires pour attaquer les positions ennemies. Toute l’après-midi, les d’eux armées restèrent sur la défensive, Napoléon attendant des renforts, Benningsen reformant ses bataillons décimés. Le soir, ce fut au tour des Français de prendre l’offensive. Ils attaquèrent les Russes de toutes parts et les mirent bientôt en pleine retraite. Or les 3,500 cuirassiers du général Nansouty, détachés du corps de cavalerie de Murat, chargèrent à trois ou quatre reprises pour arrêter la marche en avant des colonnes ennemies ; mais ces diverses charges eurent lieu dans la première période de la bataille. Avant même l’arrivée de l’empereur, les cuirassiers furent placés en réserve et ne bougèrent plus de la journée. Ce fut l’infanterie, secondée par l’artillerie, qui eut alors tout le rôle. Le 1807 de Meissonier n’est donc pas Friedland, ni aucune autre bataille ; c’est une