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qui parlent, qui remuent, qui vont se battre et qui rosseront, j’en suis sûr, Arabes et Kabyles. Il me semble que j’ai vu ces trois figures-là et que je connais leurs noms. Celui de gauche est aussi bon sujet que brave ; je l’avais fait caporal, il a du faire son chemin depuis. J’ai donné quelque part une pipe au clairon. Quant au troisième, c’est un remplaçant ; il est pratique, mais vaillant, et lorsqu’on l’a mis à la salle de police pour une bordée, on l’en fait sortir, car il se bat si bien ! Enfin je suis ravi de voir qu’il y a encore un pinceau pour conserver à nos neveux le type de ce soldat français que nous connaissons et que nous aimons… »

L’œuvre capitale de Pils est la Bataille de l’Alma. Chacun voudra revoir à l’École des Beaux-Arts, cette belle page d’histoire militaire. On connaît dans ses grandes lignes la marche de la bataille de l’Aima. L’armée russe occupait de formidables positions : elle était massée tout entière sur des hauteurs escarpées, dominant la plaine où s’avançait l’armée alliée. Une heure avant l’action, Menchikof écrivait à l’empereur Nicolas : « J’occupe une position formidable ; dans six semaines, les Français, fussent-ils 100,000 hommes, ne m’auront pas débusqué d’ici. » Le lendemain, le général russe racontait sa défaite, mais il disait : « Il faut que les Français soient fous ! » L’audace en effet avait été poussée jusqu’à la folie. A une heure de l’après-midi, alors que le gros des Français et des Anglais marchait en ligne, à découvert, contre les positions de l’ennemi et que l’artillerie entrait en action, la division Bosquet, qui occupait l’extrême droite de l’armée et que secondaient les canons de la flotte, franchissait l’Alma et, sous le feu des Russes, escaladait avec deux batteries de campagne ces hauteurs escarpées qui semblaient inaccessibles même pour les zouaves. Cette position enlevée, la bataille n’était pas encore terminée, mais elle était déjà gagnée.

Le tableau de Pils représente d’une façon claire et précise la position générale des deux armées ennemies et exprime bien l’important mouvement de la division Bosquet. Si on ne se bat pas corps à corps dans cette bataille, ce n’en est pas moins une bataille. La toile, d’une très grande dimension, embrasse la plaine de l’Alma, coupée par le cours sinueux de la petite rivière. Au fond s’étend, de la droite presque jusqu’à la gauche, la chaîne de collines aux pentes roides et aux arêtes vives qu’occupe l’ennemi. Dans la plaine, on aperçoit la famée noire d’un village incendié et trois lignes de combattans perdus dans la fumée grise de la canonnade. Au milieu, presque au pied des hauteurs, c’est la division Canrobert ; plus à gauche, en échelon en arrière, c’est la division du prince Napoléon ; à l’extrême gauche enfin, c’est le corps anglais. Les premiers et les deuxièmes plans sont remplis par les fantassins et les