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soyons attaqués dans quelques années ; pour prévenir cette attaque, tombons sur notre voisin et massacrons-le avant qu’il ne soit relevé complètement. » Ce serait là ce que le chancelier allemand appelle « se suicider pour éviter la mort, et cela dans une situation tout à fait agréable, où personne ne songe à nous faire la guerre. » — Ainsi c’est entendu, il n’y a rien eu au printemps dernier. L’empereur Alexandre est allé pour son plaisir à Berlin, et c’est aussi pour son plaisir que le prince Gortschakof expédiait en toute hâte des dépêches rassurantes. L’Angleterre s’est donné beaucoup de mal pour provoquer des explications et pour dissiper des fantômes. Ce décret sur l’exportation des chevaux, qui vient d’être abrogé, c’était tout simplement pour favoriser le commerce allemand. L’Europe a cru traverser une crise et a été la dupe de sa crédulité. Voilà qui est au mieux ! Voilà qui eût produit surtout un merveilleux effet au mois de mai 1875, et qui, pour venir dix mois après, ne garde pas moins son prix ! La moralité est qu’il ne faut pas toujours croire à ce que répètent les journaux et les correspondans des journaux. M. de Bismarck ne dit d’habitude que ce qu’il veut dire ; il n’y a aucune raison de mettre en doute la sincérité de ses paroles, et puisqu’un personnage comme lui qui a la faculté d’assembler et de dissiper les nuages, tient à se montrer pour le moment si rassuré, si rassurant, ces déclarations pacifiques peuvent certes être considérées comme un élément de quelque importance dans la situation présente des choses.

Le fait est qu’à l’heure où nous sommes, presqu’à la veille de cette saison toujours redoutée du printemps, l’Europe semble se reposer, sans de trop fâcheux pressentimens, dans une paix dont elle ne désire pas voir la fin prochaine. Un peu partout on est aux affaires intérieures. L’autre jour, le roi de Suède ouvrait son parlement dans les conditions les plus régulières. D’ici à peu l’Espagne aura son régime constitutionnel complètement rétabli par la réunion des deux chambres qui viennent d’être élues, pendant que son armée poursuit ses opérations aussi heureuses que pénibles contre les carlistes dans les provinces du nord. A son tour, l’Italie trouve dans une politique libérale et modérée la garantie d’une indépendance qu’elle a conquise par la guerre, qu’elle affermit par la paix. Le parlement italien, dont les travaux sont suspendus, va se réunir de nouveau prochainement. Il n’a guère en perspective que des discussions sur les finances ou les incidens que peut provoquer Garibaldi avec ses projets grandioses de rectification du Tibre. Ce qu’il y a de curieux en effet, c’est qu’il y a toujours une question du Tibre, qui divise Garibaldi et la commission du budget, l’un tenant à ses idées, la commission ayant d’autres vues et ne voulant livrer les premiers millions qu’à bon escient. Le président du conseil, M. Minghetti, s’efforce de mettre tout le monde d’accord. Ce n’est pas la première question sur laquelle on aura fini par s’entendre au-delà des Alpes en dépit de l’humeur et des sorties de Garibaldi.