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humain du prince Léopold, ils font aussi honneur dans un autre sens à la prestigieuse habileté du comte Capodistrias, Vous rappelez-vous la scène étrange que nous avons décrite : le président, sur la route des montagnes, d’Argos à Tripolitza, tenant en laisse les farouches héros de l’insurrection hellénique, Dimitraki et Kolopoulo, Nikitas et Kolokotroni ? Cette fois le comte Capodistrias ne tient pas en laisse les plénipotentiaires de la conférence de Londres, mais il les tient en échec, et peu à peu, doucement, irrésistiblement, il vient d’amener le prince Léopold à une détermination préparée par lui dès le premier jour.


IV

Le désistement du prince Léopold provoqua des colères violentes, non-seulement au sein du ministère anglais, mais dans tous les rangs de la diplomatie européenne. Cette résolution, que nous avons vue se former et grandir dans une âme noble, fut attribuée à une ambition insensée. Il sacrifiait par amour de la Grèce une couronne à ses yeux toute poétique et dont l’auréole le ravissait d’enthousiasme ; on l’accusa d’y renoncer par manque de cœur et pour viser plus haut. Capodistrias, qui le connaissait bien, avait spéculé en maître sur la noblesse de ses sentimens ; on ne voulait voir dans la conduite du prince qu’hypocrisie et pusillanimité, mensonge et convoitise.

Que pouvait-il donc convoiter en refusant le trône de Grèce ? Ici se place un incident qui fournit des armes singulières à ceux que son refus irritait. Quand le prince était revenu de Paris à Londres au commencement d’avril 1830, son retour avait coïncidé avec la dernière maladie du roi. George IV souffrait déjà du mal qui devait l’emporter le 26 juin. Agé de près de soixante-dix ans, atteint d’ailleurs d’infirmités précoces et depuis longtemps ruiné par la débauche, sa mort prochaine était prévue. Plus de doute, disaient les chefs du ministère tory, le duc de Wellington, lord Aberdeen, lord Eldon, plus de doute, voilà l’intrigue démasquée, c’est la maladie du roi qui a déterminé le désistement du prince Léopold. Le prince avait donné sa promesse, il la retire, une cause grave et subite peut seule expliquer cette volte-face. Le prince voit déjà le roi mort et remplacé par un successeur, qui ne fera que passer sur le trône. Le duc de Clarence est vieux et n’a point d’enfans ; Guillaume IV suivra de près George IV. Quel sera l’héritier de la couronne ? Une enfant, la fille de la duchesse de Kent, la jeune princesse Victoria. Oncle de la princesse Victoria, mari de la princesse